Au-delà des collines

Affiche Au-delà des collines
Réalisé par Cristian Mungiu
Titre original Beyond the Hills
Pays de production Roumanie, France, Belgique
Année 2012
Durée
Genre Drame
Distributeur Frenetic
Acteurs Cosmina Stratan, Cristina Flutur, Valeriu Andriuta, Dana Tapalaga, Catalina Harabagiu
Age légal 14 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 670
Bande annonce (Allociné)

Critique

En 2007, le réalisateur avait secoué les festivaliers cannois par 4 mois, 3 semaines et 2 jours. Cette année, la projection de presse de son dernier opus a été fraîchement accueillie. Il faut reconnaître que la tonalité générale est celle de la séquence de début, où l’on fend deux files de passagers fourbus débarquant de trains moroses. Deux jeunes filles se retrouvent sur le quai, Alina et Voichita, qui ont grandi ensemble dans un orphelinat et ont partagé un vécu très intense. Alina, qui travaille en Allemagne, est venue chercher Voichita, car elle ne peut se passer d’elle. Mais voilà que l’amie d’enfance est novice dans un couvent de femmes perdu au milieu de nulle part et dirigé par un pope - curieusement - et son épouse; elle est donc confrontée à un choix déchirant: «Qu’est-ce qui compte le plus dans ton cœur, Dieu ou Alina?» Pour montrer patte blanche, Alina doit se confesser et, à l’écoute du catalogue de 464 péchés dressé par l’Eglise orthodoxe, les avoue tous... Il s’ensuit, pour son bien, un rituel d’exorcismes dont elle ne sortira pas vivante.

Il faut avoir lu les notes et l’interview du réalisateur pour comprendre qu’un événement survenu en 2005 en Moldavie ainsi que la lecture de «romans non fictionnels» en vogue en Roumanie l’ont inspiré, et que le péché qui l’interpelle le plus est celui d’indifférence. Rien à redire sur sa maîtrise cinématographique ni sur les qualités de ses interprètes - mais s’il faut un mode d’emploi pour saisir ses intentions, c’est que quelque chose n’a pas passé... On peut apprécier son objectivité quasi entomologique - pas l’ombre d’un jugement sur ses personnages -, mais suspecter son intime conviction à la vue des dernières images (des scènes de rue animées) ainsi qu’à l’écoute de la musique accompagnant le générique de fin: une berceuse, «Schlaf’, Kindlein, schlaf’» - qui pourrait laisser entendre que les croyants sont des gamins préférant fermer les yeux sur la vraie vie.

Daniel Grivel


Elle est parfois ténue, la frontière qui sépare un engagement absolu d’un aveuglement total, et lourdes sont alors les conséquences que cela entraîne. A partir d’un fait divers revisité, ce film soulève bien des questions qu’il est important de ne jamais occulter, que l’on soit croyant ou non.

Pour son troisième long métrage, le réalisateur roumain s’intéresse aux options et aux choix de vie qui résultent de l’éducation ou du manque d’éducation. Pour cela, Cristian Mungiu construit un scénario avec l’aide de Tatiana Niculescu Bran, qui publia en 2006 un roman fictionnel sur une mort suspecte survenue dans un monastère roumain.

Alina (Cristina Flutur) revient d’Allemagne dans son pays d’origine, la Roumanie, pour en emmener sa seule véritable amie connue à l’orphelinat, Voichita (Cosmina Stratan), qui entre-temps est devenue nonne dans une toute petite communauté orthodoxe. Mais l’amitié et le projet de retrouvailles définitives se heurte à la foi, car Voichita ne désire pas renoncer à son engagement religieux. Alina, qui est accueillie dans ladite communauté, va donc tout tenter pour convaincre son amie d’en sortir pour s’en aller avec elle travailler en Allemagne. Mais, ce faisant, elle est progressivement perçue par toutes ces sœurs et leur chef spirituel comme dérangée - et à hospitaliser -, avant d’être considérée comme un agent maléfique, semant le doute au cœur même de Voichita. D’ailleurs, même si cette dernière confie qu’«il n’y a pas d’amis ici», elle incite son amie à se confesser au pope «pour nettoyer l’âme». Le pire est à craindre dès lors que l’aveuglement guette, que la soumission au pope, figure paternelle forte, est la règle unique qui régit la communauté, et que les soins hospitaliers cèdent la place à quelque violent exorcisme autour des prières de saint Basile, ne laissant aucun espace à quelque soutien individuel.

C’est d’ailleurs peut-être cela le sujet central de ce film qui n’est pas sans rappeler L’ÎLE avec ses longs plans magnifiques, mais de façon inversée. En effet, là où Pavel Lounguine déployait une lumière de plus en plus vive, contre toute attente et au-delà de l’obscurantisme apparent d’un «fol en Christ», les personnages de Mungiu s’enfoncent au contraire dans une nuit intérieure qui contraste avec le décor de neige qui envahit et dissimule tout. Cette nuit est celle des peurs et des hypocrisies, des injustices et des indifférences. Certes, la religion cause ici le pire, mais c’est moins elle qui est dénoncée que tout ce qu’elle permet de cacher alors qu’elle parle si souvent de révélation.

Pope, sœurs, famille d’accueil, fonctionnaires, personnel hospitalier, tous expriment avec justesse ce qui les habite, tous sont pris dans une réalité tordue qui les dépasse et fausse leur jugement, altère et retarde leur regard critique. Ainsi, tout en se concentrant sur le drame d’Alina, le réalisateur révèle si besoin était les débris permanents de l’ère Ceausescu, mais également les dangers de toute idéologie, voire de toute religion, dominée par l’obscurantisme et le manque d’éducation. La leçon est aussi forte que dérangeante.

Hormis le Prix du scénario, ce film a obtenu le double Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 2012.

Serge Molla

 

Ancien membre

Appréciations

Nom Notes
Georges Blanc 13
Daniel Grivel 14
Serge Molla 17
Anne-Béatrice Schwab 18