Medianeras

Affiche Medianeras
Réalisé par Gustavo Taretto
Pays de production Argentine, Allemagne, Espagne
Année 2011
Durée
Musique Gabriel Chwojnik
Genre Romance, Comédie
Distributeur Jour2fête
Acteurs Inés Efron, Pilar López de Ayala, Carla Peterson, Rafael Ferro, Adrián Navarro
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 641
Bande annonce (Allociné)

Critique

Le sujet du premier long métrage du cinéaste argentin Gustavo Taretto aurait pu paraître banal - la rencontre possible d’un homme et d’une femme dans l’immense ville de Buenos Aires -, mais son traitement est remarquable d’originalité, aux antipodes d’une romance à l’eau de rose. Une excellente surprise.

Le ton est donné d’entrée: une voix anonyme commente des images de Buenos Aires, mettant en évidence le côtoiement étrange de certains bâtiments, le contraste entre édifices luxueux et logements délabrés, entre gratte-ciel rutilants et studios cages à poules. Les plans, nettement découpés, soulignent parfois la brutalité de cette architecture, et MEDIANERAS démarre comme un documentaire: le commentaire est légèrement décalé et mêle subtilement esthétique et histoire, poésie et humour. Toutes ces images de la ville renvoient bien évidemment, dans un subtil jeu de miroirs, à ses habitants, comme si cette architecture reflétait leur mode de vie. Des images surprenantes, bien épaulées par un montage rapide et précis, et soutenues par des motifs musicaux discrètement efficaces.

Mais tout à coup le film prend une autre direction. Le documentaire cède le terrain à la fiction, et Martin (Javier Drolas) - la voix off du monologue - se présente: la trentaine, concepteur (à domicile) de sites internet, introverti, solitaire, dépressif et agoraphobe. Surgit ensuite, sans transition, un deuxième personnage, Mariana (Pilar López de Ayala), une habitante du même quartier, une architecte qui peine à trouver un emploi et qui, en attendant, décore les vitrines de magasins de vêtements. Martin et Mariana ont ceci de commun qu’ils essaient tous deux de se remettre d’une rupture amoureuse. Ils ne se connaissent pas, mais habitent la même rue, ils vont s’y croiser sans se voir tout au long des quatre saisons d’une année et vont s’ignorer pendant une heure et demie (le temps du film), lui avec le petit chien que lui a laissé son ex, elle les bras encombrés des mannequins qu’elle promène partout.

MEDIANERAS - à traduire par «maisons ou murs mitoyens», ou «murs aveugles» - se présente comme une très belle métaphore: la solitude urbaine et les angoisses déstabilisantes de Martin et Mariana sont liées à l’architecture de la ville: «A Buenos Aires, dit Mariana, tous les immeubles ont une façade inutile, inutilisable, qui ne donne ni devant, ni derrière: c’est le mur aveugle. Et tous ces murs aveugles montrent notre côté le plus misérable. Mais contre l’oppression vécue dans ces cages à poules, il y a une issue, une échappatoire, illégale comme toujours: on va ouvrir de minuscules fenêtres…» Du coup, MEDIANERAS se trouve être l’histoire de deux personnes qui percent des fenêtres dans des murs aveugles, en même temps que l’histoire de deux personnes qui ressentent le même besoin pressant de faire entrer de la lumière dans leur propre vie.

MEDIANERAS peut se définir comme une fable sur la solitude, sur le déracinement urbain et affectif de chacun, sur l’ambiguïté des nouveaux moyens de communication: les progrès technologiques, portables, internet, semblent, paradoxalement, isoler tous les habitants. Chacun se replie sur soi et en souffre.

Pour dire tout cela, l’imagination du cinéaste fourmille d’idées: Gustavo Taretto donne l’impression de prendre plaisir à jouer avec sa caméra, tout en se gardant bien de dévoiler toutes les cartes de son jeu à la fois. Le film prend la liberté d’explorer plusieurs pistes, l’intrigue se fixe d’autres rendez-vous dans cette foule de trois millions d’habitants, et la narration, très fluide, s’amuse avec le spectateur. Le ton est léger, le dessin animé accompagne plusieurs séquences, les deux acteurs principaux jouent la délicatesse, tantôt drôles, tantôt émouvants. L’humour de Woody Allen (un clin d’œil au passage à MANHATTAN!) n’est jamais très loin.

Dans cette comédie romantique piquante, la caméra de Gustavo Taretto, curieuse de tout, sait aussi se faire discrète. Le regard porté par le cinéaste, souvent incisif et critique, reste affectueux, nous rappelant en passant (quelle belle leçon!) que le cinéma est avant tout affaire d’images et de point de vue.

Note: 17

Antoine Rochat