Space Tourists

Affiche Space Tourists
Réalisé par Christian Frei
Pays de production Suisse
Année 2009
Durée
Musique Jan Garbarek, Eduard Artemiev, Steven Reich
Genre Documentaire
Acteurs Anousheh Ansari, Jonas Bendiksen, Dumitru Popescu, Charles Simonyi
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 623

Critique

Primé au Festival du film de Sundance, le documentaire de Christian Frei nous embarque à bord d’une fusée Soyouz, en compagnie de la première touriste de l’espace. Un voyage réussi à tous les points de vue, en même temps qu’une méditation sur le sort de l’homme et de notre planète.

Une armada d’hélicoptères russes tournoie au-dessus d’un énorme parachute qui dépose, sans ménagement et en pleine steppe kazakhe, une capsule spatiale. En émergent trois cosmonautes, dont une femme, Anousheh Ansari, irano-américaine et première «touriste» féminine de l’espace.

Auteur de deux remarquables documentaires (WAR PHOTOGRAPHER, 2001, CF n. 445 et THE GIANT BUDDHAS, 2005, CF n. 520), le cinéaste suisse Christian Frei explore ici le monde naissant du tourisme spatial, un domaine réservé à des passagers prêts à débourser des fortunes pour une évasion de quelques jours dans la stratosphère. Ici c’est la multimillionnaire irano-américaine Anousheh Ansari (40 ans) que l’on va suivre tout au long de ses préparatifs et durant son voyage. Elle filmera elle-même (avec l’assistance des deux cosmonautes russes qui l’accompagnent) les séquences de son séjour à bord de la fusée Soyouz, ainsi que les jours passés à l’intérieur de l’International Space Station (l’ISS russo-nippo-américano-européenne).

Christian Frei a demandé au photographe de l’agence Magnum Jonas Bendiksen de l’épauler dans cette difficile et longue entreprise cinématographique. Jonas commentera les images du film et présentera les photos prises lors du tournage.

Survol géographique de notre planète, SPACE TOURISTS est aussi un survol historique de la politique spatiale de l’URSS et de la Russie, de Gorbatchev à nos jours. La caméra du réalisateur s’attarde à Baïkonour, la plus grande base spatiale du monde, créée en 1955 et plantée en plein Kazakhstan, à l’abri des regards occidentaux indiscrets. Une ville de 100’000 âmes à l’époque mais qui, dès 1989, perdra plus de la moitié de ses habitants et deviendra une cité fantôme tombant en décrépitude. Une agence spatiale russe, Roskosmos, reprendra beaucoup plus tard les choses en mains et recommencera à envoyer des satellites dans l’espace, avant de plancher sur l’idée de lancer dans l’espace, à bord de fusées Soyouz, des passagers privés, des touristes de l’espace auxquels on demanderait bon prix (Anousheh Ansari a déboursé 20 millions de dollars, l’équivalent de la moitié des frais de l’opération).

SPACE TOURISTS suit donc, chronologiquement, les événements de l’expédition «Ansari» depuis les préparatifs sur le site de Swjosdny Goradov («Star City»), au nord-est de Moscou, où l’on entraîne les futurs cosmonautes, jusqu’au retour sur terre, en passant par les adieux à la famille, l’installation dans la fusée et le décollage, l’arrimage à l’ISS et la vie quotidienne dans la station orbitale. Un voyage d’une semaine «comme si vous y étiez». En parallèle - et en opposition totale avec les images d’une technologie quasi surréaliste -, Christian Frei a choisi aussi de suivre l’événement depuis le sol, depuis la steppe kazakhe (paysages désolés splendides!), aux côtés de camionneurs-récupérateurs qui, sur leurs énormes engins, partent immédiatement après le décollage de la fusée à la recherche des débris (le nez de l’engin et les fameux quatre propulseurs qui sont largués 72 secondes après le départ), une richesse d’aluminium et de titane qui leur tombe ainsi du ciel… Le cinéaste a voulu vivre avec ces ferrailleurs du désert qui mangent, dorment, se déplacent à la poursuite de ces cadeaux venus d’en haut… qu’ils revendent à bon prix aux Chinois. Et le cinéaste n’esquive pas non plus les problèmes d’ordre écologique: que faire, si l’on veut protéger la nature, de tous ces produits souvent toxiques qui retombent des cieux? Comment protéger aussi tous les paysans qui vivent nombreux dans la steppe kazakhe?

Le film élargit aussi son horizon en faisant intervenir d’autres protagonistes: le Roumain Dimitru Popescu, jeune ingénieur de 37 ans passionné par les aventures spatiales et constructeur de la plus grande montgolfière du monde, destinée à gagner la stratosphère munie de ses milliers de capteurs solaires… Ou encore l’Américano-Hongrois Charles Simonyi (concepteur des premières versions de World et Excel à Microsoft), un autre voyageur de l’espace (il y est déjà allé deux fois) que l’on suit dans ses préparatifs, son entraînement physique et tous les tests auxquels il est soumis.

SPACE TOURISTS est un film très riche qui suit de nombreuses pistes, sans se perdre, et qui sait éviter l’écueil du spectaculaire. Méditation moderne sur la place de l’homme dans l’univers, sur le sens à donner à la (et à sa) vie, sur les moyens de survivre, sur les notions de «futilité» ou d’«utilité», ce documentaire assez exceptionnel, soutenu par des images impressionnantes et souvent insolites, accompagné aussi d’une excellente musique (on retrouve les noms du compositeur Edward Artemyev dans les films de Tarkowski, c’est une référence, et du grand saxophoniste norvégien Jan Garbarek), reste constamment captivant.

Note: 16

Antoine Rochat