Premier qui l'a dit (Le)

Affiche Premier qui l'a dit (Le)
Réalisé par Ferzan Ozpetek
Pays de production Italie
Année 2010
Durée
Musique Pasquale Catalano
Genre Drame, Comédie
Distributeur Pyramide Distribution
Acteurs Riccardo Scamarcio, Ennio Fantastichini, Nicole Grimaudo, Alessandro Preziosi, Carmine Recano
N° cinéfeuilles 618
Bande annonce (Allociné)

Critique

Une grande famille du sud de l’Italie, où l’on ne se dit pas tout, où tout écart à la normalité du fonctionnement social est proscrit, où le passé pèse sur le présent. Cinéaste turc installé de longue date sur la péninsule, Ferzan Ozpetek joue habilement avec les genres cinématographiques et nous livre un film riche et plein de surprises.

Ferzan Ozpetek aime raconter des histoires familiales - il avait intitulé l’un de ses premiers films TABLEAU DE FAMILLE (2002). Avec MINE VAGANTI (à traduire par «mines en errance» ou «mines dérivantes»?), il nous emmène dans les Pouilles, à Lecce, chez les Cantone qui possèdent une fabrique de pâtes et une jolie fortune. Le fils cadet, Tommaso (Riccardo Scamarcio), veut profiter d’une réunion familiale pour révéler à tout le monde qu’il est homosexuel. Mais au moment où il s’apprête à prendre la parole, son frère aîné Antonio (Alessandro Preziosi) le devance et y va de sa propre confession qui fait scandale: un malaise profond s’installe, le père chasse Antonio - qui devait lui succéder à la tête de l’entreprise - et reporte ses espoirs sur Tommaso, qui ne peut que garder pour lui tout ce qu’il avait à avouer…

LE PREMIER QUI L’A DIT raconte l’histoire de plusieurs membres d’une même famille vivant sous le même toit, chacun ayant des secrets à cacher. Il y a là la grand-mère d’origine toscane: les premières séquences du film - magnifique flash-back d’une mariée courant vers une vieille maison, près de Gallipoli - lui sont consacrées; la trajectoire existentielle de la «nonna» sera un fil rouge à suivre durant cette longue plongée dans le passé. Toute l’intrigue, de manière générale, reposera sur des non-dits et évoluera souvent de façon inattendue, avec un jour l’arrivée inopinée des amis gays de Tommaso, avec d’autres fois les frasques nocturnes de tante Luciana (Elena Sofia Ricci) - qui a des amants qu’elle accompagne de grands cris («au voleur!») lorsqu’ils la quittent -, ou encore avec d’autres personnages qui traversent l’intrigue, telle Alba (Nicole Grimaudo), la jeune collègue de travail, amoureuse discrète de Tommaso et porteuse elle aussi d’un passé chargé.

Comédie de mœurs? étude psychologique? mélodrame classique? Un peu de tout cela, et le mélange des genres ici se révèle excellent. Le tragique affleure, vite relayé par une tonalité plus légère qui rappelle par moments celle de la «comédie italienne», avec ses composantes satiriques, voire féroces. La musique fait parfois basculer une scène dramatique vers le comique, ou contribue à accélérer le rythme narratif - ou à le ralentir -, donnant un souffle nouveau au récit qui repart dans une nouvelle direction. Le film s’achèvera avec une très belle scène pleine d’émotion, où l’on retrouvera tous les personnages, où tous les thèmes (la vie et la mort, l’affection et l’amour, tous pudiquement décrits) se donneront rendez-vous dans une temporalité décalée, dans un tableau de possible réconciliation…

Ferzan Ozpetek excelle dans la description des réunions familiales, dans l’art de tourner autour d’un repas comme certains personnages tournent autour de sujets dont ils ne veulent (ou ne peuvent) pas parler. Les dialogues sont volontairement réduits, l’expression des visages suffit, la tablée ne bouge pas… A l’opposé, les amis gays de Tommaso sont pleins de vie, sur la plage comme dans l’eau… Deux mondes différents se croisent de loin, l’un figé, l’autre débordant d’énergie.

Sujet original qui sait éviter tout dérapage, LE PREMIER QUI L’A DIT témoigne d’une grande sensibilité dans la description de tous les personnages, dans l’évocation subtile des non-dits, dans la maîtrise du jeu des acteurs (Ozpetek est aussi un homme de théâtre). Des qualités que l’on avait déjà relevées par le passé (LA FENÊTRE D’EN FACE, 2003) et qui font de ce nouveau film une œuvre ambitieuse, riche et surprenante. Avec toutefois un petit bémol: la multiplicité des pistes à suivre, le foisonnement et la (relative) complexité du propos n’en rendent pas toujours la lecture aisée. Un petit côté frustrant…

Note: 15

Antoine Rochat