Voleur de lumière (Le)

Affiche Voleur de lumière (Le)
Réalisé par Aktan Arym Kubat
Pays de production kirghizistan, Allemagne, France, Pays-Bas
Année 2010
Durée
Musique Andre Matthias
Genre Drame
Distributeur ZED
Acteurs Aktan Arym Kubat, Taalaïkan Abazova, Askat Sulaimanov, Asan Amanov, Stanbek Toichubaev
N° cinéfeuilles 615
Bande annonce (Allociné)

Critique

Autour du portrait de «M. Lumière», électricien, aidant les plus pauvres à faire tourner leurs compteurs à l’envers, se dessine tout un village du Kirghizistan. C’est le temps présent où les magnats russes se réveillent et suscitent parmi les habitants locaux des disciples aux dents longues. Ce film de fiction, en forme de comédie, évite les clichés et dénonce une triste évolution où le pouvoir de l’argent décrédibilise gravement la sagesse des anciens. Par son jeu d’une troublante humanité, chaque personnage acquiert une épaisseur qui permet de révéler non sans tendresse comment s’organisent les rapports sociaux. Mais, si «M. Lumière» a de grands rêves (notamment à propos de l’exploitation énergétique), il n’est pas disposé à les vendre… Comme quoi poésie et politique peuvent parfois s’unir sous le regard d’un réalisateur très soucieux de l’humain et capable d’attirer l’attention sur des lieux et des gens oubliés du monde.

Serge Molla


Svet-Ake, électricien-bricoleur de génie, n’a pas peur de «voler la lumière» pour la mettre à disposition de chaque habitant du village. Sur fond de révolution et de manipulations politiques, un cinéaste kirghize nous offre une belle fable, teintée d’amertume, qui parle de l’évolution de son pays.

Scénariste et réalisateur du film, Aktan Arym Kubat endosse aussi le rôle de Svet-Ake, le «voleur de lumière», qui habite dans un village perdu au milieu des montagnes du Kirghizistan et que tout le monde appelle «Monsieur Lumière». C’est lui qui répare la petite éolienne (bricolée!), qui bidouille les fils et trafique les compteurs pour que toutes les familles - même les plus démunies - puissent profiter de l’électricité. De plus, il écoute chacun, apporte ses conseils et tempère les disputes. Il rêve aussi de pouvoir construire d’autres éoliennes sur les montagnes, là où le vent souffle fort, pour alimenter toute la vallée. Esen (Asan Amanow), le maire du village, est un peu son complice et défend les intérêts des habitants contre les appétits des promoteurs qui se pointent, partisans (intéressés et corrompus) d’une «marche vers le progrès» qui laissera sans doute sur les bas-côtés de la route ceux qui ne pourront pas payer. Mais Esen disparaîtra, et Mansur (Stanbek Toichubaew), son cousin et successeur, aura bien du mal à faire face à une horde de mafieux sans scrupules. Svet-Ake, lui, ne se souciera pas des projets et des magouilles des investisseurs chinois qui sont déjà à l’affût. Il se révoltera, mais en paiera le prix.

A travers les portraits de ce «voleur de lumière» et de deux ou trois autres personnages, le cinéaste brosse le tableau d’une communauté qui pourrait bien ressembler au pays tout entier. Les allusions à la situation politique du Kirghizistan sont perceptibles, avec les images télévisées de la «Révolution des tulipes» de 2005 à Bichkek, qui obligea le président Akaïev à quitter le pouvoir. Bakiyev, son successeur - le film ne le dit pas, mais on le sait depuis -, a été renversé en 2010, mais le nouveau régime de démocratie parlementaire semble déjà menacé par les nouveaux maîtres du pays… Tout cela est dit à demi-mot, ou plus explicitement par la bouche d’Esen ou de Svet-Ake. La critique du régime est palpable, et les règles morales ou éthiques évoquées par les deux hommes sont sans doute l’expression des convictions intimes du réalisateur.

Le voleur de lumière se présente à la fois comme une petite fable traversée par l’émotion, et comme un instantané de vie au Kirghizistan, sous forme de narration serrée, ponctuée de paysages superbes et donnant aux personnages une existence véritable. Le style du cinéaste est empreint d’une poésie souvent nostalgique, d’un humour discret aussi. Le regard, pointu, saisit détails et petits gestes, et donne vie aux décors. Le tout s’accompagne d’une musique traditionnelle et de chœurs aux accents rauques et parfois inquiétants.

Les anciens du village, avec leurs (très beaux) chapeaux traditionnels en feutre blanc, semblent souvent dépassés par les événements. Mais la vie continue, et Svet-Ake se soucie de l’avenir de sa famille. Le cinéaste aussi, qui, dans le générique final, laisse une dédicace: «A mes petits enfants. Qu’ils soient heureux.»

Antoine Rochat

Antoine Rochat

Appréciations

Nom Notes
Antoine Rochat 15
Serge Molla 15
Daniel Grivel 15