Oncle Boonmee - celui qui se souvient de ses vies antérieures

Affiche Oncle Boonmee - celui qui se souvient de ses vies antérieures
Réalisé par Apichatpong Weerasethakul
Pays de production Thaïlande, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, France, Pays-Bas
Année 2010
Durée
Genre Drame
Distributeur Pyramide Distribution
Acteurs Sakda Kaewbuadee, Thanapat Saisaymar, Jenjira Pongpas, Natthakarn Aphaiwonk, Geerasak Kulhong
N° cinéfeuilles 615
Bande annonce (Allociné)

Critique

Sur fond de réincarnations multiples et diverses, le film qui a obtenu la Palme d’Or se déroule dans le nord de la Thaïlande, dans une maison de campagne où Boonmee, qui doit subir des dialyses de plus en plus fréquentes, a décidé de finir ses jours en compagnie de quelques proches, tout en allant apprendre la méditation au temple voisin. La nature foisonnante qui l’entoure est très présente par ses feuillages, ses fleurs, le son des insectes et des cours d’eau. Un soir, attablé à la véranda, il voit surgir de la forêt le fantôme de sa femme décédée voilà des années puis, sous la forme d’un être d’apparence simiesque aux yeux rouges lumineux, le fils qu’il a perdu. Ses commensaux l’informent que des esprits et des animaux affamés sentent qu’il est malade. La perspective de sa mort prochaine angoisse Boonmee comme, dit-il, le serait un écolier qui doit présenter un exposé. Pour se préparer, il explore une grotte, image de la matrice originelle.

Les cadrages sont esthétiquement magnifiques et, même si des clés culturelles manquent au spectateur occidental, une certaine magie opère. On comprend que des réalisateurs comme Tim Burton et Benicio Del Toro aient été séduits par cette méditation sereine, harmonieuse, douce et poétique.

Daniel Grivel


Palme d’Or à Cannes, ONCLE BOONMEE avait créé la surprise. C’est en effet à une démarche peu commune que le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul convie le spectateur: un homme malade vit ses derniers jours et reçoit la visite de fantômes - femme et fils décédés - qui prennent place à sa table. On peut rester à la porte de cette réunion familiale, comme on peut être fasciné par la richesse et la beauté plastique de cette expérience cinématographique.

Le Jury du dernier Festival de Cannes a donc attribué sa Palme au jeune réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. Une décision et un choix audacieux, par ailleurs discutables dans la mesure où il s’agit d’une œuvre sans doute trop originale pour séduire un large public. Un choix que certains ont d’ailleurs qualifié d’inconséquent: Weerasethakul est un cinéaste visionnaire et ONCLE BOONMEE sans doute le plus étrange, le plus poétique et le plus ésotérique de ses films. Voilà donc un opus qui va rebuter ou fasciner: lenteur et histoire incompréhensible pour les uns, images et poésie libératrices pour les autres… Le cinéaste précise: «Je crois en la trans-migration des âmes entre les hommes, les plantes, les animaux et les fantômes.» Voilà le spectateur averti.

Boonmee vit à la frontière de la Thaïlande et du Laos, dans une ferme qu’il exploite avec ses ouvriers laotiens. Ayant appris qu’il a dû séjourner à l’hôpital, sa sœur Jen et son neveu viennent lui rendre visite: c’est un homme paisible mais affaibli - il souffre d’une insuffisance rénale aiguë - qu’ils découvrent. Le soir même ils seront rejoints par la femme de Boonmee, ou plutôt par son fantôme puisqu’elle est décédée depuis près de 20 ans, et par leur fils, disparu lui aussi et transformé en grand singe velu aux yeux rouges.

C’est sans surprise aucune que Boonmee recevra ces invités inattendus et venus de l’au-delà pour l’entourer. Accompagnée de rêves et guidée par des esprits, la famille s’enfoncera alors dans la forêt, s’arrêtant dans une grotte (souvenir d’enfance) où l’oncle accueillera la mort sereinement. Une dernière scène dans un temple mettra un terme à cet étrange voyage.

Peuplé d’une faune bizarre et de revenants, ONCLE BOONMEE a quelque chose d’extraterrestre. Les fantômes sont familiers, ce sont des membres de la famille qui s’invitent à la table d’un homme qui sait que la mort l’attend. Et qui sait aussi qu’ils sont revenus pour le prendre. Il lui reste juste le temps, en compagnie de ces spectres, de remonter jusqu’aux premières sensations de sa vie, vers ses origines, en passant par les terres reculées du nord de la Thaïlande. Et vers le présent aussi (ou est-ce le futur?), par des images fugaces et mystérieuses de garçons-soldats qui portent mitrailleuses sous le bras, allusion sans doute à la guérilla communiste, à la révolte des «chemises rouges» et à la répression qui sévit aujourd’hui en Thaïlande.

Venu de l’art contemporain - il est diplômé en architecture et en beaux-arts -, le cinéaste développe ici une cinématographie pour le moins singulière, recherchant de nouvelles formes esthétiques de narration, et convoquant le fantastique, le surnaturel et la mythologie - animisme, chamanisme, la philosophie asiatique nous est peu connue - de cette partie du monde. L’écriture est très belle, la richesse sonore étonnante, la photographie superbe (jeux d’ombres et de lumières, nuances dans les tons, cadrages parfaits), et le film, poétique et envoûtant, permet à chacun de faire de ce monde-là ce qu’il veut. Et c’est bien là les limites aussi de ce cinéma qui répond à la volonté de son auteur de laisser au spectateur l’entière responsabilité du sens à donner à toutes ces images: «J’essaie de pratiquer un cinéma différent, qui fait reculer les limites, qui lance un défi au public.» On peut le suivre, tant il est vrai que le cinéma en général, aujourd’hui, se conforme le plus souvent à une culture unique. Mais on pourra aussi regretter l’absence totale de ce que l’on appelle tout simplement un «point de vue» personnel.

Antoine Rochat

 

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