Critique
Qui sait vraiment qu’il y a eu en France des alignements de baraques en bois comme à Auschwitz, avec des miradors, des chiens, des barbelés et des policiers français transformés en gardes-chiourme? Qui sait clairement que la rafle du Vel’ d’Hiv à Paris est la plus grande rafle jamais organisée, qui aboutit à la déportation de 13’000 personnes, dont 4’051 enfants juifs qui ne sont jamais revenus des camps? Ancienne journaliste d’investigation convertie à la réalisation, Roselyne Bosch a voulu rendre à toutes ces victimes leur histoire, partiellement occultée ou minimisée jusqu’au jour de 1995 où Jacques Chirac, alors président, a reconnu officiellement lors des commémorations de la rafle des 16 et 17 juillet 1942 que l’Etat français ainsi que des Français avaient prêté main forte à cette horreur criminelle pour répondre à l’exigence de l’occupant nazi.
Roselyne Bosch - qui, précisons-le n’est pas juive - a choisi d’évoquer la collaboration française et de dire l’indicible du point de vue des enfants déportés, notamment de Joseph Weisman, qui avait 10 ans à l’époque, et qui a pu s’enfuir du camp d’internement de Beaune-La-Rolande. Elle a rencontré ce rescapé des camps après être tombée sur son témoignage lors d’une émission de «La Marche du siècle». Il disait que personne n’oserait jamais faire un film sur la rafle du Vélodrome d’Hiver. Elle a relevé le défi.
LA RAFLE suit l’histoire du petit Jo (Hugo Leverdez) et de sa famille. Il a 11 ans et vit une enfance plutôt heureuse à Montmartre malgré la guerre, malgré l’étoile cousue sur ses vêtements. Il est arrêté avec sa famille, des voisins, une kyrielle d’autres enfants. Il réchappera de l’enfer. Des autres enfants embarqués avec lui, on ne saura rien de ce qu’il leur est arrivé après qu’on les a arrachés à leur famille, qu’on les a fait monter de force dans des wagons à bestiaux plombés dans les cris et les hurlements de terreur. Ils s’évanouissent dans un effroyable silence.
Si Roselyne Bosch pointe du doigt la collaboration française, elle a aussi choisi de rendre hommage aux Justes, notamment à travers le personnage de l’infirmière Annette Monod (Mélanie Laurent), protestante engagée qui s’est occupée des enfants et les a suivis, du vélodrome parisien où ils étaient parqués au camp d’internement. La jeune femme a signalé sans relâche aux autorités concernées les conditions de détention inhumaines pratiquées dans ce camp. En vain.
Ce film est une véritable leçon d’histoire qui comble certaines lacunes des manuels. Mais fallait-il remuer ce sombre passé?, se demandent certains. La réponse se trouve dans les remarques que l’on entend parfois aujourd’hui, du genre: «C’est de l’histoire ancienne, aujourd’hui, tout le monde s’en fout!» Pour que l’histoire ne se répète pas, il faut donc la connaître, regarder en face le versant sombre des hommes, réaliser qu’on a toujours la possibilité de choisir d’écouter sa part d’humanité. Le film est un excellent outil pédagogique pour les enseignants. Il est porté par des interprètes souvent bouleversants, comme le petit Nono, 5 ans, joué par deux jumeaux, ou ce médecin juif, le Dr David Sheinbaum, interprété par un Jean Reno inattendu, bouleversant en contre-emploi.
Bon, la musique, omniprésente, est souvent pénible. Bon, les scènes où l’on voit Hitler faire des mondanités détonnent. On comprend mieux celles où Pétain, Laval et Bousquet signent cyniquement l’arrêt de mort des juifs de France. Quelques anachronismes font sourire ceux qui ont été gamins juste après la guerre. Mais l’assourdissant silence à l’issue de la projection témoigne de l’émotion qui étreint les spectateurs et, pour certains, de la réelle prise de conscience d’une page noire de l’histoire humaine.