Critique
Joann Sfar n’est pas un cinéaste mais un auteur de bande dessinée; c’est dans cette branche qu’il a obtenu, entre autres récompenses, le Prix œcuménique au Festival d’Angoulême 2003. Qu’est-ce qui l’a amené à parler du chanteur français avec une caméra? «Adolescent, j’écoutais l’intégrale de Gainsbourg en dessinant. J’aimais l’idée qu’il avait voulu dessiner et qu’il n’y soit pas parvenu, qu’il ait été en recherche d’amour et de légitimité vis-à-vis de la France comme je l’étais moi-même, avec ma famille mi-russe, mi-algérienne.»
Une fraternité existe donc entre ces deux hommes que Sfar n’exploite pas pour en tirer une biographie au sens littéral. Il brosse plutôt son portrait à partir d’une conviction: «Ce ne sont pas les vérités de Gainsbourg qui m’intéressent, mais ses mensonges.» Le scénario se structure pourtant à partir des lieux communs de l’artiste: l’alcool, le tabac, l’érotisme et ce visage tant détesté. Le rôle est endossé, avec maquillage idoine, par un Eric Elmosnino qui s’en tire fort bien. Les personnages qui gravitent autour de lui, les femmes de sa vie dont Jane Birkin (Lucy Gordon) sont moulées à leur modèle.
Une mise en scène pétillante met en relief le double du chanteur, sa «Gueule» (Doug Jones, réalisateur, qui a joué le rôle de Pan dans LE LABYRINTHE DE PAN), ou plutôt ce démon qui l’habite et le détruit; les conversations entre ces deux personnages sont souvent touchantes en ce qu’elles rappellent l’envers du génie de Gainsbourg. Malheureusement, il en manque l’endroit auquel la fantaisie de Joann Sfar tend à se substituer. Le reste du film est une variation sur des airs connus, sympathique et drôle à défaut d’être émouvante.
Geneviève Praplan