The Limits of Control

Affiche The Limits of Control
Réalisé par Jim Jarmusch
Pays de production U.S.A., Japon
Année 2009
Durée
Genre Thriller, Drame
Distributeur Le Pacte
Acteurs Alex Descas, Jean-François Stévenin, Luis Tosar, Isaach de Bankolé, Oscar Jaenada
N° cinéfeuilles 605
Bande annonce (Allociné)

Critique

Les personnages qui traversent les films de Jim Jarmusch donnent souvent l’impression d’être de passage, comme entre deux portes. De STRANGER THAN PARADISE à BROKEN FLOWERS en passant par DEAD MAN et GHOST DOG (LA VOIE DU SAMOURAÏ), on rencontre beaucoup de solitaires en léger décalage avec la réalité.

Le protagoniste de THE LIMITS OF CONTROL relève de cette catégorie-là. C’est un Noir, un étranger sans nom (on l’appellera «le solitaire»), un homme de main chargé d’une mission dont on ignore une bonne partie des tenants et des aboutissants. Le film démarre sur une séance de tai-chi, le solitaire se concentrant et se ressourçant comme il le fera à plusieurs reprises dans ce long métrage de deux heures qui est tout le contraire d’un film d’action. Est-on en présence d’un polar? On en doute. D’un antipolar parodique? Peut-être. D’un road movie? Il y a de cela…

L’étranger en question (Isaach de Bankolé), complet veston impeccable, laconique et mystérieux, toujours maître de lui-même, traverse l’Espagne et rencontre une galerie de personnages étranges (une belle brochette d’acteurs célèbres!) qui apparaissent comme des agents de liaisons (ou des manipulateurs). Déterminé et méticuleux, l’homme n’a d’autre objectif que sa cible ultime.

L’intrigue, disons-le tout net, n’a pas d’importance. Tout au plus découvre-t-on quelques diamants dans une boîte d’allumettes... L’intérêt se situe ailleurs, dans le choix des images et des cadrages, dans la présence des décors urbains (hypermodernes) ou campagnards (maisons délabrées), dans la priorité donnée aux détails, à un cinéma du regard qui donne sa place au temps (on pense parfois à Antonioni…) Les dialogues sont rares et concis, certaines scènes se répètent, comme des refrains, des leitmotivs rythmant le voyage du héros. Le récit apparaît volontairement déconstruit, les liaisons temporelles sont souvent ignorées, des ralentis brisent ce qui pourrait encore passer pour du réalisme.

Il n’y a pas, il n’y a jamais eu chez Jarmusch la volonté de donner une place privilégiée à l’analyse ou à la psychologie. Les personnages «sont», et le spectateur doit les habiter. Au risque parfois de s’ennuyer. Ou de se tromper: est-ce la réalité que nous offre le cinéaste? Ou son reflet? L’homme solitaire du film manifeste autant d’intérêt pour la première - il est très attentif au monde qui l’entoure et aux objets - que pour le second - il visite régulièrement des expositions de peinture, s’attardant chaque fois sur un tableau différent. Tout est subjectif, tout relève de l’intuition et de l’imagination, semble dire Jarmusch, tout est dans la façon dont on pose les yeux sur ce que l’on découvre. Et la musique - de Schubert au flamenco en passant par The Black Angels! - glisse encore ses notes au creux des images décalées.

Paradoxe pourtant: ce film qui n’a pas d’histoire à raconter, pas trop de logique interne, pas de personnage à qui se raccrocher, se révèle finalement être une très forte image - ironique, désabusée ou tragique, c’est selon - de notre monde. A recommander donc (prioritairement) à celles et ceux qui aiment le cinéma du regard. Pour le rayon divertissement, allez voir ailleurs…

Antoine Rochat