Construit comme la quête intime du père et une enquête historique, le film de la réalisatrice d’origine suisse établie à Paris Danielle Jaeggi dévoile par petites touches l’envers du décor mythique de la «montagne magique» immortalisée par Thomas Mann, à l’ombre de laquelle, dès 1933, Davos et ses sanatoriums entretiennent des relations ambiguës avec l’Allemagne nazie. En accueillant des dignitaires du IIIe Reich, en tolérant leurs harangues publiques, leur propagande ouverte et le salut hitlérien dans ses rues, en privilégiant ses rapports économiques avec le régime nazi, Davos a mis sérieusement à mal la neutralité de la Suisse.
Le spectateur découvre, effaré, cette dérangeante réalité à travers les lettres que le père de la réalisatrice écrit à sa femme. Atteint de tuberculose et contraint à de longs séjours à la montagne, il est le témoin inquiet de la montée du nazisme et de la fermeture des frontières de la Suisse: sa femme, juive d’origine hongroise, installée à Lausanne, est en effet menacée d’expulsion. Il assiste, en observateur attentif, au chassé-croisé quasiment surréaliste des chefs de la Gestapo et des officiers de la Luftwaffe, puis des haut gradés américains et des rescapés des camps de concentration.
La cinéaste confronte le point de vue de son père aux archives et à l’avis documenté des historiens spécialistes de l’histoire suisse de la Seconde Guerre mondiale, notamment de l’historien Marc Perrenoud, ancien conseiller scientifique de la Commission Bergier. Derrière les décors de rêve, le monde ouaté et alangui des sanatoriums de luxe, on entrevoit l’enfer minutieusement organisé auquel les autorités suisses prêtent la main en faisant apposer sur les passeports le J stigmatisant les juifs et en participant à l’effort de guerre des nazis par des livraisons d’aluminium par trains entiers. Le film de Danielle Jaeggi est un documentaire remarquable et sensible qu’on verrait bien à la télévision plutôt que sur grand écran.