Critique
Leonardo (Oscar Martinez) et Martha (Cecilia Roth) approchent de la soixantaine. Ils ont eu jusque-là une vie bien remplie, lui comme dramaturge célèbre, elle à s’occuper de leurs trois enfants. Mais tandis que leurs garçons partent à l’étranger pour y continuer leurs études, leur fille épouse un écrivain israélien et s’installe au Proche-Orient. Le couple se retrouve seul. Martha y trouve l’occasion de se plonger dans tout ce qu’elle a laissé de côté pour élever sa famille. Exubérante et surexcitée, elle déconcerte Leonardo qui ne la comprend plus, alors qu’il se retrouve au contraire très désemparé.
Avec peu de dialogues, Daniel Burman réussit à faire sourdre l’inquiétude qui habite son protagoniste. Le réalisateur argentin n’a pas encore atteint la quarantaine, mais en observant ce qu’il risque de vivre dans vingt ans, il fait preuve d’une grande pertinence. D’un esprit plutôt sombre aussi. Il ne s’en cache pas. «Je suis arrivé à une période de ma vie où, plutôt que parler de mes propres angoisses, je préfère les projeter sur des personnages qui me sont extérieurs.»
Leonardo se voit vieillir, maintenant que ses enfants sont partis; il y a pire, sa fille épouse un écrivain et, à ce titre, elle se défait doublement de son père. Tandis que la mort se rapproche, tout semble s’écrouler pour cet homme habitué à la reconnaissance. Comment s’en sortir? «Les fantasmes sont essentiels pour s’évader de la réalité… Ils font parie de la réalité», explique le réalisateur. Ces fantasmes, subtilement insérés dans l’histoire, prennent l’apparence d’un psychiatre, observateur fin et précieux conseiller, bien plus utile à Leonardo que les amis de sa femme, autant de bavards qu’il ne comprend pas.
Daniel Burman fait de LES ENFANTS SONT PARTIS un film qui ne manque ni d’humour, ni de cruauté. Son portrait de la société est sarcastique, qu’il s’agisse des amis bourgeois parmi lesquels se complaît Martha, ou du milieu israélien de sa fille qui s’habitue à vivre dans un appartement où traîne un fusil mitrailleur. Sa peinture, délicate, sans excès, est une réussite qui doit beaucoup à la simplicité avec laquelle il aborde l’existence. «Les héros, précise Daniel Burman, ce sont ces individus qui réussissent à franchir les étapes de leur vie et à accepter le présent.»
Geneviève Praplan