Chats persans (Les)

Affiche Chats persans (Les)
Réalisé par Bahman Ghobadi
Pays de production Iran
Année 2009
Durée
Musique Mahdyar Aghajani, Ash Koosha
Genre Drame
Distributeur Mars Distribution
Acteurs Negar Shaghaghi, Ashkan Koshanejad, Hamed Behdad
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 592
Bande annonce (Allociné)

Critique

Deux jeunes musiciens iraniens décident de monter un groupe «underground». Lassés de ne pouvoir s’exprimer librement chez eux, ils cherchent à se procurer (clandestinement) des papiers pour aller jouer à Londres. L’affaire est compliquée, sans argent, sans visas…

On sait, selon l’islam, qu’une certaine musique - occidentale en particulier - est considérée comme impure parce qu’elle provoque gaieté et émotion: interdite à Téhéran par les autorités, elle doit se cacher et s’écouter dans les caves.

Le cinéaste iranien Bahman Ghobadi (UN TEMPS POUR L’IVRESSE DES CHEVAUX, 1999) aime la musique et on le sent. Avec LES CHATS PERSANS, très beau film bien maîtrisé, il a pris des risques, tournant sans autorisation et dans l’urgence (pour que la police ne puisse pas le repérer), accompagnant les différentes étapes des recherches entreprises par les protagonistes par des séquences musicales et des textes de chansons servant de supports à une description pointue de la vie à Téhéran (sévérités policières à l’égard des jeunes, difficultés de l’existence, absence de liberté, pauvreté, etc.) Les scènes (rapides) de cette vie quotidienne font mouche, l’humour n’est pas absent, même si la tonalité finale reste amère. Un film qui trouve une forme bien adaptée au dynamisme de ces jeunes qui ont le sentiment d’étouffer dans l’Iran d’aujourd’hui. Une fiction-documentaire réussie qui ne sortira pas sur les écrans iraniens, ajoute Bahman Ghobadi…



Antoine Rochat





Voici un film risqué dont on ne ressort pas indemne, tant il donne une première image de la réalité de jeunes adultes à Téhéran aujourd’hui. On y rit parfois pour s’empêcher de pleurer, et on gardera longtemps en mémoire ces musiciens qui font surtout entendre la complainte de la liberté d’expression.

A peine sortis de prison, Negar (Negar Shaghaghi) et Ashkan (Ashkan Koshanejad), deux jeunes musiciens iraniens, ne rêvent que d’une chose, filer clandestinement en Europe et y donner des concerts. Mais, auparavant, il faut monter un groupe underground et se procurer des papiers. Et Nader (Hamed Behdad), le duplicateur clandestin de CD et de DVD, a promis de les aider pour toutes ces démarches, et un concert privé devrait leur permettre de réunir les fonds minimum.

Tourné en dix-sept jours à la sauvette et sans autorisation, ce film relève le défi de proposer un long métrage engagé et bien construit, quand bien même il ne fut quasi pas préparé et n’avait pas de véritables comédiens pour y figurer. Pourtant la réalisation de Bahman Ghobadi, à qui l’on devait UN TEMPS POUR L’IVRESSE DES CHEVAUX, est porté par au moins trois solides éléments: le quotidien iranien dans la capitale, le désir irrépressible de la liberté d’expression, et la musique. Quant à la métropole de Téhéran, elle est un personnage à part entière au sens où, comme dans ROMA de Fellini, on s’y déplace en tous sens et côtoie les bâtiments officiels, et surtout les ruelles, les impasses, les caves et les toits, les arrière-cours et les soubassements, tout en baignant à plusieurs reprises dans sa circulation ahurissante. C’est l’occasion de croiser toutes sortes de gens ou plutôt de personnages qui vont de ces musiciens décidés à s’expatrier, de ce guitariste qui initie des gosses à la musique avec une troublante tendresse, au faussaire de visas et passeports en passant par les policiers qui verbalisent pour un chien véhiculé ou de jeunes adultes friqués qui se droguent. Au royaume de la débrouillardise, les petits sont malins, mais paient parfois bien cher le prix de leurs audaces.

«On a besoin de respirer». La formule est sans appel et traduit la motivation de ces jeunes artistes qui prennent tant de risques pour s’exprimer, que ce soit au travers de l’«indie rock» en persan ou de chants aux intonations parfois folk. On retrouve là le pouvoir de l’art, seul moyen d’expression pour ce qui ne peut trouver d’autre chemin ou d’autre voix dans un pays. La musique ne joue donc pas du tout ici un rôle illustratif, elle n’a rien du divertissement ou du produit destiné à rapporter gros à son créateur. L’enjeu est ailleurs, il réside dans cette quête de liberté et de libération intérieure et extérieure qu’expriment ces jeunes adultes au nom, peut-être, de tout un petit peuple. La «respiration» tant attendue, que traduit la musique, est au cœur du propos: elle le façonne et donne le rythme de ce film, parfois haletant. Finalement, si le titre de ce film fort - qui a valu à Bahman Ghobadi d’être interdit de séjour dans son propre pays - reste obscur au spectateur, qu’il sache qu’à Téhéran, où il est interdit de sortir avec un chat ou un chien, les chats persans coûtent très cher. Mais c’est peut-être parce que, comme les artistes, leur beauté est d’une très grande valeur et il est difficile de leur graisser la patte.



Serge Molla

Ancien membre