Fausta - La Teta Asustada

Affiche Fausta - La Teta Asustada
Réalisé par Claudia Llosa
Pays de production Espagne, Pérou
Année 2008
Durée
Musique Selma Mutal
Genre Drame
Distributeur Jour2fête
Acteurs Magaly Solier, Susi Sánchez, Efraín Solís, Marino Bollon, Antolín Prieto
N° cinéfeuilles 594
Bande annonce (Allociné)

Critique

Fausta a reçu de sa mère, en guise d’héritage, beaucoup d’angoisse. Une peur de l’existence dont il faut chercher l’origine dans l’histoire récente du Pérou. FAUSTA - LA TETA ASUSTADA revient, sous forme de parabole et à travers le destin d’une jeune Indienne, sur les événements des années 80. Un film à la fois superbe et déroutant.

Jeune cinéaste de 33 ans, Claudia Llosa vient de décrocher, avec FAUSTA - LA TETA ASUSTADA, le dernier Ours d’Or de la Berlinale 2009. Son premier long métrage, MADEINUSA (CF n. 537), primé dans de nombreux festivals, avait déjà attiré l’attention de la critique.

Un village des Andes péruviennes. A la mort de sa mère, la jeune Fausta se retrouve seule, sans autre protection que celle de son oncle, bien occupé par ailleurs à marier sa propre fille. Le père de Fausta, lui, a disparu pendant la guerre civile qui a mis aux prises, dans les années 80, police et armée péruviennes et guérilla maoïste du Sentier lumineux. Pour répondre aux dernières volontés de sa mère, Fausta doit trouver rapidement l’argent qui lui permettra d’aller l’enterrer dans son village natal. La jeune Indienne s’engage alors chez une riche patronne, une artiste bourgeoise un peu revêche.

Cinéma d’auteur au féminin, FAUSTA - LA TETA ASUSTADA décrit les frayeurs et les angoisses de Fausta. Tout a mal débuté pour elle dans l’existence: sa mère, violée, a subi dans sa chair l’horreur de la guerre civile. Fausta est elle-même victime d’un mal mystérieux: évanouissements, saignements de nez, incapacité à communiquer. La vie l’effraie et les hommes lui font peur. Pour se protéger des menaces extérieures, la jeune fille s’est littéralement bouché le vagin avec une pomme de terre.

Fausta a reçu en héritage une peur indicible, un «lait de la douleur» que boivent, selon les Indiens, les nouveaux-nés au sein de leurs mères, des mères souvent violentées. Des Indiens, nous dit la réalisatrice, qui sont encore des laissés-pour-compte dans un pays où les richesses sont mal réparties. Le film reflète - notamment à travers le personnage de la femme-artiste chez laquelle travaille Fausta - la réalité de ces inégalités-là.

Dans le tableau qu’elle fait de la société de son pays, la cinéaste a su trouver le ton juste. FAUSTA - LA TETA ASUSTADA ne fait sans doute qu’effleurer les problèmes sociaux, mais l’essentiel est dit, sous forme allégorique. La mise en scène, toute de finesse et pleine de trouvailles, donne l’impression d’une simplicité extrême, alors qu’elle est très travaillée: plans rigoureux, montage équilibré, récit clair et dynamique, ponctué de chants psalmodiés par la voix aigrelette de l’héroïne. La description de la vie familiale de l’oncle - on vit d’expédients, on organise des fêtes pour les autres, ce qui permet de donner ici ou là un ton plus léger au récit -, les dialogues, les ressorts de l’action, les décors (des images de toute beauté), tout est maîtrisé.

FAUSTA - LA TETA ASUSTADA est une œuvre à la fois politique et poétique, une méditation laconique mais pleine d’émotion sur l’histoire d’un pays qui se remet lentement de ses blessures. Dans ce film qui parle de mémoire collective, qui reprend certains éléments fantastiques des croyances populaires, qui sait éviter tout pittoresque, tout sentimentalisme, toute scène de brutalité, Claudia Llosa réussit à délivrer - avec retenue et modestie - une parabole un peu décalée sur la dureté de la vie et des rapports sociaux dans le Pérou d’aujourd’hui.

Antoine Rochat