Let's make Money

Affiche Let's make Money
Réalisé par Erwin Wagenhofer
Pays de production Autriche
Année 2008
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Ad Vitam
Acteurs Antonio Baena Perez, George Belton, John Christensen, Yves Delisle, Ramón Fernandéz Durán
N° cinéfeuilles 591
Bande annonce (Allociné)

Critique

Il y a trois ans, Erwin Wagenhofer avait réalisé un documentaire phare sur la mondialisation, WE FEED THE WORLD (diffusé récemment sur Arte). Il s’agissait, pour le cinéaste autrichien, de montrer comment l’industrie alimentaire européenne produit aujourd’hui une nourriture sans goût, tout en affamant le tiers monde. Avec LET’S MAKE MONEY, il propose un film en coup de poing qui met à nu les mécanismes financiers de notre planète.

Ce long et riche documentaire ne laisse guère de répit au spectateur: les images parlent d’elles-mêmes, le titre du film («Laissez travailler votre argent») est explicite, et la chronique d’un naufrage à venir bien annoncée. Tout s’enchaîne, chapitre par chapitre, sans commentaires, sinon ceux de différents acteurs et hauts responsables. LET’S MAKE MONEY montre les mécanismes d’un système bancaire qui introduit notre argent dans le circuit monétaire international, si bien que toute personne qui a un compte en banque participe - souvent sans le savoir - au système financier mondial. Le cinéaste montre les risques d’une économie sans garde-fou: paradis fiscaux, chantage économique, investissements fictifs… A travers des images impressionnantes - parfois hallucinantes, à la limite du surréalisme -, il rappelle les dérives du système libéral et ses conséquences humaines, démographiques et écologiques.

Ce réquisitoire implacable, tourné début 2008, annonçait la crise que nous connaissons. Se présentant comme un avertissement, son message est clair: il n’y a plus de réglementation financière, tout va se terminer très mal, la cohabitation des humains est déjà un véritable chaos. Les propos tenus par les managers financiers et les responsables de grandes entreprises ne sont pas là pour rassurer et les exemples, dans le film, ne manquent pas: Wagenhofer consacre une séquence stupéfiante aux 800’000 maisons construites récemment en Espagne (et inoccupées à ce jour) qui ont été conçues avant tout comme objets de placement. De véritables villes fantômes.

Singapour, Burkina, îles anglo-normandes, Chennai (Inde), Cologne, Washington, le cinéaste donne partout la parole à des personnages passionnants, déconcertants ou inquiétants. Un agronome africain prévient: «Si les Occidentaux continuent à subventionner leur agriculture - c’est-à-dire à prôner le libre-échange, mais à pratiquer le protectionnisme -, on va vous envahir, c’est sûr. Ils auront beau construire un mur de dix mètres de haut, nous viendrons.» Ou encore, dans la bouche d’un expert bancaire: «Il faut convaincre les pays émergents à contracter des prêts auprès de la Banque mondiale ou du FMI. Les endetter pour mieux les assujettir…»

Descriptions de circuits aberrants de distribution, constructions financières abstraites, pillages de certaines régions, gaspillages ailleurs, tout est dit, ou presque, par les images, avec une caméra jouant la neutralité… LET’S MAKE MONEY, on l’a compris, ne se veut pas un réconfort pour la planète.

Antoine Rochat