Chéri

Affiche Chéri
Réalisé par Stephen Frears
Pays de production Grande-Bretagne, Allemagne, France
Année 2009
Durée
Musique Alexandre Desplat
Genre Romance, Drame, Comédie
Distributeur Pathé Distribution
Acteurs Michelle Pfeiffer, Kathy Bates, Rupert Friend, Felicity Jones, Frances Tomelty
Age légal 12 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 588
Bande annonce (Allociné)

Critique

Délicieux portrait d’une classe sociale disparue, CHERI montre aussi les épines de la rose. Elles sont brèves, les belles années des courtisanes.

Colette (1873-1954) a peut-être mené une vie tapageuse, elle n’en a pas moins été couverte d’honneurs, membre, puis présidente (1949) de l’Académie Goncourt, grand officier de la Légion d’honneur, pour enfin mériter, selon l’Etat français, des obsèques officielles - mais civiles, l’Eglise refusant de lui donner sa bénédiction.

La romancière française laisse surtout une liste impressionnante de romans et de chroniques, œuvres légères et fines, adulées à l’époque par un public féminin surtout, qui s’est largement diversifié depuis. Parmi les nombreux titres qu’elle a publiés, Chéri (1920) lui a valu l’admiration d’écrivains tels que Proust, Gide, Cocteau, Mauriac. Rien de moins! Ce livre, écrit avec les sens autant qu’avec la plume, pénètre dans la vie intime des courtisanes, classe sociale singulière qui a connu son âge d’or au début du 20e siècle.

Au moment de prendre sa «retraite», Léa de Lonval (Michelle Pfeiffer) s’autorise une liaison avec Fred Peloux (Rupert Friend), surnommé Chéri, fils de sa collègue Madame Peloux (Kathy Bates). Ce n’est qu’un plaisir passager, pensent-ils tous les deux; mais six ans passent sans qu’ils s’en aperçoivent. Jusqu’au jour où, pour assurer la pérennité de sa fortune et celle de son fils, Madame Peloux décide de marier Fred à Edmée. Ce ne sont pas ces épousailles qui surprennent les deux amants, mais la mesure du sentiment qui les unit, alors qu’ils doivent se séparer.

Avec des acteurs au diapason, Stephen Frears magnifie le roman de Colette en mettant en images le moindre détail de sa sensualité: les étoffes, les jardins croulants de fleurs, les gâteaux. On croit sentir le parfum des roses qu’on effeuille. La reconstitution de la Belle Epoque est un véritable régal, somptueux de bout en bout, sans risque d’esthétisme. C’est l’évocation d’une vie douce, dans laquelle les concurrences, les jalousies, les ressentiments sont dissimulés sous les traits d’esprit et l’ironie du vernis mondain.

Le bonheur, autrement dit? Résolument non. C’est tout le talent mêlé du cinéaste et de la romancière que de faire palpiter la contradiction. Le brillant de ce bonheur est une couche extrêmement fine. Dessous, juste au-dessous, affleure d’abord la solitude. Les courtisanes, si riches soient-elles, forment une caste repliée sur elle-même. Aimées, entretenues par les plus riches aristocrates, menant froidement leurs affaires, elles ne peuvent pour autant prétendre à la reconnaissance sociale et doivent se contenter de s’afficher dans leur demi-monde restreint.

Or, dans ce cercle, les petits mots cruels s’échangent avec un grand sourire. Car elles se comparent, l’âge faisant son œuvre, elles se mesurent et voient les résultats du temps, de l’ébauche à la ruine. C’est l’autre entrave au bonheur. Léa y pense à chaque minute face à l’éternel enfant qu’est son Chéri. La fêlure du temps sera-t-elle celle de l’amour? Le couple connaît la chance d’échapper à cette fin. Mais le mariage de Fred est rédhibitoire. Car, en vraie courtisane, Léa connaît la souffrance de l’amour et ne veut pas l’infliger à la jeune épouse de son amant. Guettée par l’âge, elle se trouve à la fin de sa carrière. Au moment de perdre ses appas, c’est la grandeur d’âme qu’elle choisit.

Geneviève Praplan