Critique
Avoir 30 ans et choisir la montagne. La vie de Max et Monika Kempf est peinte ici dans son âpreté et sa grandeur.
En 2006 sortait sur les écrans romands L’HERITAGE DES MONTAGNARDS (Das Erbe der Bergler), de Erich Langjahr, sur une tradition spectaculaire, le fauchage dans les pâturages abandonnés du Muotatal. Avec PAR MONTS ET PAR VAUX, Hans Haldimann explore une piste similaire, celle de la paysannerie de montagne. Les protagonistes du premier film s’organisent chaque été pour maintenir une tâche qui, sans eux, serait révolue. Au contraire, ceux du second documentaire sont des professionnels; ils perpétuent la geste paysanne dans son ensemble, ils en vivent. Les deux films montrent ce paradoxal ensemble de grandeur et d’âpreté de la paysannerie.
Cela se passe dans le canton d’Uri, dans le Schächental. Max Kempf, 33 ans, a repris l’exploitation de son père basée sur la transhumance. Aidé par sa femme et sa famille, il déplace son troupeau dix fois par année entre les trois fermes situées respectivement à environ 500, 1’100 et 1’700 mètres d’altitude. Quasiment abandonnée en Suisse, la transhumance est née de la topographie alpestre, des surfaces de prairies accrochées à la verticalité des montagnes et qu’il faut bien trouver un moyen d’exploiter quand on n’a rien d’autre sous les pieds.
Max Kempf est profondément attaché à sa vie de montagnard, pour rien au monde il ne voudrait la quitter. Sa chance, sans doute, est d’avoir épousé Monika. Lorsqu’elle a rencontré Max, «il n’y a pas eu de sonnette d’alarme pour me dire: attention, tu vas devoir continuer à trimer!» Or, il faut trimer, et trimer à contre-courant. L’élevage industriel rend archaïque la méthode de la famille Kempf. Et la politique agricole de la Confédération lui emboîte le pas: subventionner trois fermes alors qu’une suffirait... C’est la raison pour laquelle le couple lutte avec ses propres moyens, il veut sauver son indépendance. Max et Monika ont trois enfants.
Hans Haldimann a travaillé seul, avec sa caméra, gagnant ainsi la confiance et l’intimité de la famille. «Comme cela ne coûtait presque rien en ce qui concerne le nombre de jours de tournage, cela me permettait de me rendre dans le Schächental même quand le scénario ne l’exigeait pas et de pouvoir filmer des situations inattendues. Ma présence régulière a permis aux protagonistes d’avoir un rapport plus insouciant à ma présence et à ma caméra.»
Entreprise peu onéreuse, mais loin d’être de tout repos. Haldimann a filmé parfois dans des conditions extrêmes, la nuit, la neige, la pente… Les mêmes conditions que celles qui font la vie de la famille Kempf. L’idéalisation n’a pas prise dans ce contexte et l’objectivité y trouve tout naturellement sa place. Les Kempf, au demeurant, évoquent les soucis, les difficultés, le combat reconduit saison après saison. Mais l’entraide aussi, les proches toujours présents, grâce à qui l’entreprise tient sa tête hors de l’eau.
Jamais ils n’ont un mot aigre, une rancœur, une plainte. Ils vivent la pleine réalité de leur condition, fragile, suspendue... Mais, et c’est toute la beauté de leur histoire, jamais non plus ils n’oublient la grandeur du paysage dont ils sont les héros. La liberté dans le grand air, l’amour des animaux et du travail bien fait sont les axes de la poésie qui les habite. Ils ont gardé en eux le sens profond de la vraie vie.
Geneviève Praplan