Etrange Histoire de Benjamin Button (L')

Affiche Etrange Histoire de Benjamin Button (L')
Réalisé par David Fincher
Pays de production U.S.A.
Année 2008
Durée
Musique Alexandre Desplat
Genre Drame, Fantastique, Romance
Distributeur Warner Bros. France
Acteurs Cate Blanchett, Brad Pitt, Jason Flemyng, Julia Ormond, Taraji P. Henson
N° cinéfeuilles 584
Bande annonce (Allociné)

Critique

Curieux destin que celui de Benjamin Button, cet homme qui naquit à l’âge de 80 ans et qui vécut sa vie à l’envers, sans pouvoir arrêter le cours du temps. Adapter la nouvelle de F. Scott Fitzgerald était une gageure, mais le réalisateur David Fincher s’en tire plutôt bien. Tantôt fable, tantôt chronique réaliste d’une époque, le film se présente, à travers une histoire hors du commun, comme une réflexion sensible sur la vie en général.

On est à La Nouvelle-Orléans, la tempête Kathryna est toute proche. Au chevet de sa mère Daisy, Caroline découvre un journal intime, des lettres, des photos. C’est elle qui va jouer le rôle de lectrice (pour sa mère) et de narratrice dans le récit qui commence.

Retour en arrière. La naissance de Benjamin Button, en 1918, à La Nouvelle-Orléans, provoque stupéfaction et épouvante: le bébé a l’apparence et les caractéristiques d’un vieillard de 80 ans. Abandonné par son père qui le dépose sur le seuil d’une maison pour personnes âgées, il est recueilli et élevé par une jeune Afro-Américaine, Queenie, qui dirige l’établissement. Le vieillard-enfant se confond d’abord avec la clientèle, mais Benjamin, à l’inverse du monde qui l’entoure, semble rajeunir de jour en jour. Puis d’année en année: à 20 ans, l’air d’en avoir 50, il s’engage sur un chalutier. La guerre de 39-45 éclate, il est mobilisé après Pearl Harbour, il échappe à la mort et, continuant à remonter le temps, il découvre l’amour. D’abord celui - passionné mais de courte durée - avec Elizabeth, épouse d’un diplomate britannique à Mourmansk, puis celui avec Daisy, ballerine qu’il avait rencontrée autrefois, et avec qui il va vivre un grand amour lorsque leurs deux âges vont se croiser… Leur relation évoluera au gré de leur maturation, émaillée de bien des occasions manquées. Le temps va poursuivre son chemin, pour eux, dans deux sens opposés…

L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON fut d’abord une petite nouvelle de F. Scott Fitzgerald (Ed. Pocket, 50 p.) publiée dans les années 1920. Le romancier américain dit s’être inspiré d’une pensée de Mark Twain: «La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et si nous nous approchions graduellement de nos 18 ans» (Réd.: On peut rappeler une idée semblable dans un romand de Pierre Daninos, Les carnets du Bon Dieu). De cette nouvelle de prime abord fantaisiste, mais finalement assez amère, David Fincher (SEVEN, PANIC ROOM) et Eric Roth - son scénariste - signent une adaptation qui ne conserve de la nouvelle de Fitzgerald que le fil conducteur, supprimant plusieurs personnages, en ajoutant beaucoup d’autres, et situant l’existence du héros beaucoup plus tard (de 1918 à nos jours, et non plus de 1860 à 1930). D’entrée de jeu le spectateur est plongé dans une réflexion sur le rapport au temps et sur le long chemin qui sépare la naissance de la mort. Un temps impitoyable, aux trajectoires inversées, une vie faite de séparations, de pertes d’êtres chers, un tableau de l’extrême fragilité de l’humanité: la tonalité du film est souvent celle de la mélancolie, qui s’accompagne d’une forme de fatalité imprégnant chaque existence. Même si l’humour n’est pas toujours très loin…

On attendait le dernier film de Fincher avec une curiosité mêlée d’appréhension: budget colossal (135 millions de dollars), grandes vedettes, multiples nominations aux prochains Oscars, cette production haut de gamme, qui n’a rien de tapageur ni de grandiloquent, reste très intimiste, très classique dans sa réalisation. Et c’est d’ailleurs ce qu’on pourrait lui reprocher: la narration est linéaire, la part du texte (littéraire) très importante, le traitement visuel - fin, soigné jusque dans les détails du grain de la pellicule, des décors, des lumières - n’a rien de très innovateur, mais on reconnaîtra au film une qualité importante, celle de susciter une réflexion, pleine d’émotion souvent, sur le temps qui passe, sur le rôle des souvenirs, sur l’importance des relations humaines. A noter que les aléas de l’âge et le vieillissement sont des sujets que le cinéma américain cherche le plus souvent à éviter, plus enclin qu’il est à vouloir flatter et séduire un public plus jeune.

Brad Pitt, qui tourne avec David Fincher pour la troisième fois (après SEVEN et FIGHT CLUB), se surpasse dans le rôle exigeant de cet homme incapable d’arrêter un temps qui le force à marcher à reculons, à prendre le chemin contraire de tous ceux qu’il aime. Sa présence à l’écran, dans un jeu tout intérieur, tout de retenue, est très forte. Le cinéaste a par ailleurs recours à plusieurs autres acteurs pour interpréter le rôle-titre (80 ans d’existence à se partager!) A côté de Brad Pitt, on citera Cate Blanchett (Daisy), Taraji P. Henson (Queenie) et Tilda Swinton (Elizabeth), toutes trois impeccables.

Antoine Rochat