Critique
Dans leur superbe appartement de l’Upper East Side, Brad (Sam Rockwell) et Abby Cairn (Vera Farmiga) célèbrent la naissance de leur deuxième enfant, Lily. Joshua (Jacob Kogan), le grand frère, ne voit pas l’arrivée de sa sœur d’un bon œil. A 9 ans, d’une intelligence et d’une précocité rares, sa politesse et son calme apparent contrastent fortement avec son âge et masquent à peine la jalousie viscérale qu’il éprouve envers sa petite sœur.
La vie de famille va peu à peu se fissurer. Entre les pleurs incessants de Lily et les travaux de rénovation de l’immeuble, entre l’étrange dépression postnatale d’Abby et les événements troublants que le couple va vivre, l’existence de rêve de la famille Cairn va virer au cauchemar.
Est-ce le fruit du hasard, d’un redoutable concours de circonstances, ou sont-ils la proie d’un esprit maléfique et machiavélique, celui de Joshua?
Ce coup d’essai (premier long métrage de George Ratliff) est un coup de maître. Savamment ficelé, littéralement porté par un jeune acteur étonnant d’intelligence prématurée, au flegme inquiétant, le film ne se distingue pas par des effets spéciaux horrifiques, tout étant dans les ambiances et dans les glissements progressifs vers une réalité que l’on soupçonne et redoute tout à la fois. Une famille qui apparemment a tout pour être heureuse (amour, aisance matérielle, culture...) se déglingue progressivement, et le sol qui semblait ferme sous les pas du spectateur devient dérapant voire se dérobe. A l’image de l’audition de piano, où Joshua était censé faire honneur à ses parents en jouant la marche funèbre de la 12e sonate de Beethoven et où il se lance dans «Ah vous dirais-je maman» en la détournant dans des harmonies dissonantes, la petite musique familiale devient grinçante.
Ratliff a bien aimé HARRY, UN AMI QUI VOUS VEUT DU BIEN, et cela se voit. Il aborde avec subtilité un thème dérangeant et antirousseauiste, celui de l’enfant maléfique, laissant habilement planer le doute... On comprend que son film ait été remarqué aux festivals de Sundance et de Gérardmer.
Daniel Grivel