Trois singes (Les)

Affiche Trois singes (Les)
Réalisé par Nuri Bilge Ceylan
Pays de production Turquie, France, Italie
Année 2008
Durée
Genre Drame
Distributeur Pyramide Distribution
Acteurs Ahmet R?fat Sungar, Hatice Aslan, Yavuz Bingöl, Ercan Kesal, Ceren Olcay
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 570
Bande annonce (Allociné)

Critique

On avait aimé UZAK et LES CLIMATS, on sera peut-être moins convaincu par LES TROIS SINGES (allégorie de ceux qui ne voient, n’entendent et ne disent rien), malgré son écriture subtile.

Le film s’ouvre sur un long plan suivant une voiture sur une route déserte et aboutissant sur un cadavre abandonné derrière elle. L’auteur de l’accident semble être Servet, candidat aux élections nationales, qui demande à son factotum Eyüp, homme plutôt rugueux, de porter le chapeau et de faire une année de prison à sa place moyennant une somme coquette - ni vu ni connu. Le fils du détenu, Ismaël, glande au lieu de terminer ses études et ramasse des coups à cause de ses fréquentations douteuses qu’il cache à sa mère Hacer, celle-ci entretenant des relations troubles avec Servet et recourant à un stratagème semblable au sien pour camoufler une autre mort violente.

La pendule ornant le salon de Hacer et Eyüp égrène inlassablement les secondes et souligne les longueurs d’un film tout en gros plans, en couleurs sépia, baignant dans une lumière crépusculaire, s’ouvrant et se fermant par des grondements de tonnerre lourdement symboliques. Non sans quelque sévérité et en dépit de la construction savamment aboutie, on serait tenté de penser à du sous-Bergman sur les rives du Bosphore.



Daniel Grivel





Mensonge, hypocrisie... le réalisateur turc explore les profondeurs de l’âme humaine dans une esthétique dépouillée. Superbe.

Les cinq films du cinéaste turc ont tous été présentés aux festivals de Cannes ou de Berlin. Le quatrième, USAK, a obtenu le Grand Prix du Festival de Cannes en 2003, ainsi qu’un double Prix d’interprétation masculine. Sa nouvelle œuvre, LES TROIS SINGES, a été récompensé par le Prix de la mise en scène, l’an dernier, toujours sur la Croisette. Qu’est-ce qui pousse cet homme à tourner des œuvres aussi singulières, sans complaisance à l’égard du public, ni à l’égard des comédiens qu’il dirige, encore moins à l’égard de lui-même?

Il s’en explique: «J’ai toujours été intrigué, fasciné et en même temps effrayé par les manifestations du spectre incroyablement large de la psyché humaine. J’ai toujours été étonné d’observer la coexistence, au sein de l’âme humaine, du goût du pouvoir et de la capacité à pardonner, de l’intérêt pour les choses les plus sacrées comme pour les choses les plus banales, de l’amour comme de la haine.»

Le titre du film lui a été inspiré par une fable. D’abord éléments de la philosophie de Confucius, dans laquelle les trois singes représentent la sagesse qui refuse d’entendre le mal, de le voir et d’en parler, ils ont acquis, au cours des siècles, une connotation péjorative. Aujourd’hui, ils représentent l’hypocrisie des apparences.

La famille d’Eyüp (Yavuz Bingol) est plongée dans cette hypocrisie. Lui vient d’accepter de faire de la prison à la place de Servet (Ercan Kesal), son patron, politicien en campagne électorale qui doit présenter le visage de l’intégrité pour être élu. Pendant les neuf mois que dure son incarcération, sa femme Hacer (Hatice Aslan) entretient une liaison avec Servet pour gagner l’argent dont leur fils Ismail (Ahmet Rifat Sungar) a besoin. Mais elle en tombe amoureuse et ne parvient pas à empêcher son fils de la soupçonner.

Derrière cette trame fragile, derrière les apparences sur lesquelles chacun brode à sa manière les doutes, les alibis et les mensonges, les pensées bouillonnent, les sentiments contradictoires se bousculent. Le réalisateur n’a nul besoin d’accumuler les anecdotes pour expliquer ce qui se passe. Il travaille aux ciseaux même pour les dialogues, faisant d’une extrême économie sa première alliée. Tout le film repose sur une direction d’acteurs remarquable et sur une mise en scène non moins remarquable.

Puisque le dialogue est limité, la caméra va chercher la parole dans les yeux, derrière les fronts. Les portraits en gros plans détaillent une peau frémissante, des gouttes de sueur dont on ne sait si elles sont dues à la chaleur où à l’angoisse, des regards tantôt trop mobiles, tantôt trop fixes… En guise de décor, le paysage se transforme en orage. Les couleurs sont désaturées, images denses, en camaïeu, qui accentuent la tension.

Que se passe-t-il dans l’âme humaine?, s’interroge Nuri Bilge Ceylan. Il insère les réponses dans ses cadrages, ses plans fixes, ses atmosphères presque immatérielles… «Ce qui me pousse à faire des films, c’est cette volonté de comprendre notre monde intérieur qui ne peut être formulé rationnellement.»



Geneviève Praplan

Ancien membre