Delta

Affiche Delta
Réalisé par Kornél Mundruczó
Pays de production Allemagne, Hongrie
Année 2008
Durée
Musique Félix Lajkó
Genre Drame
Distributeur looknow
Acteurs Orsolya Toth, Félix Lajkó, Lili Monori, Sandor Gaspar, Martin Wuttke
Age légal 14 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 570
Bande annonce (Allociné)

Critique

Un village au fond de nulle part, c’est-à-dire dans le delta du Danube, où terre, eaux et roselières s’entremêlent en une nature sauvage. Survient un jeune homme introverti et taciturne qui rencontre sa sœur dont il ignorait l’existence, sorte de Cendrillon exploitée par sa mère et son parâtre, rustre qui vit de sa ferme et d’un débit de boissons. La jeune fille est attirée par son frère et son projet de bâtir une maison sur pilotis au milieu du fleuve. Commençant par construire une passerelle conduisant au chantier, tous deux rompent les ponts avec les villageois. Rupture consommée par un viol commis par le paysan, dépité de voir son esclave lui échapper, et par l’amour interdit entre les deux jeunes gens, qui seront rejetés à l’issue d’une fête inaugurale tournant à la beuverie.

Le film de Mundruczo (réalisateur hongrois déjà distingué à Locarno en 2002 pour Pleasant Days par un Léopard d’Argent et auteur de Joanna, version très personnelle de Jeanne d’Arc) est d’une beauté âpre, lent à l’image de la tortue d’eau dont les apparitions ponctuent le récit; il n’est pas sans évoquer Bergman. Une œuvre exigeante pour spectateurs exigeants.

Daniel Grivel


Un delta comme refuge; un frère et une sœur y fuient la brutalité de leur famille. Le réalisateur hongrois en fait un hymne à la liberté.

Un Léopard d’argent a récompensé Kornél Mundruczó au Festival de Locarno 2002. Le réalisateur hongrois y présentait  Pleasant Days, son premier long métrage. Delta n’a malheureusement pas été remarqué l’an dernier, à Cannes, où il figurait en compétition. Malheureusement parce que c’est un film qui fait d’un sujet difficile un hymne à la nature et à la liberté.

Lorsque Mihail (Félix Lajkó) revient chez lui, dans le delta du Danube qu’il a quitté enfant, il découvre qu’il a une sœur, Fauna (Orsi Tóth). Sa mère (Lili Monori) vit avec un amant (Sándor Gáspár) et ne tient guère à avoir ce fils taciturne dans les jambes. Mihail veut aller vivre dans la cabane que son père a laissée dans les roseaux. Fauna décide de le suivre, envers et contre tous. Dans le delta, ils se lancent dans la construction d’une maison et se préparent à l’inaugurer en invitant les villageois. Mais leur vie est inacceptable aux yeux de la communauté.

Le sentiment qui rapproche le frère et la sœur noue l’intrigue de ce film sans en devenir le centre. Le réalisateur l’utilise pour mettre en place un antagonisme. D’un côté, les hommes du village, la mère et le beau-père de Fauna qui l’exploitent et la brutalisent, une communauté fruste dont la sauvagerie est toujours prête à éclater. En face, la nature, ses paysages amples, splendides, pérennes, sauvages eux aussi, mais ouverts comme un asile.

Et c’est bien l’asile que Mihail et Fauna vont y chercher. N’ayant plus foi en leur famille, ils s’isolent au bout d’une jetée qui les coupe du monde, parmi le peuple musical des grenouilles. Leur choix dangereux les bannit, alors que la communauté qui les rejette ne compte plus ses crimes. L’amour qui les unit n’est pas tant une déviance que l’allégorie du besoin de liberté. Ils veulent vivre leur propre vérité, devenir eux-mêmes, assumer leurs différences. C’est une forme de «pureté» qui les place bien au-delà du jugement des leurs, dans une sorte de genèse, un Eden sans serpent. Pour le village, cette «pureté» est au fond plus scandaleuse que leur inceste.

Kornél Mundruczó peint cette histoire difficile avec un doigté magnifique. La violence est filmée de loin avec une bande-son qui empêche toute méprise. «Ne pas vouloir montrer, explique-t-il, n’était pas un repli dans une sorte de pudeur honteuse, ni une solution de facilité. Je voulais simplement donner un espace d’imagination au spectateur afin qu’il puisse remplir les blancs avec ses propres images. Je voulais aussi prendre un peu de recul en tant qu’auteur. Je n’avais pas envie de faire la démonstration d’un concept ou de verser dans un style trop caractéristique. Pour moi, laisser vivre les personnages dans leur histoire était fondamental.»

Peintre et poète autant que cinéaste, le réalisateur hongrois réussit à renverser un récit dans lequel tout est propice aux commérages, pour en faire une estampe sur l’innocence.

Geneviève Praplan

Ancien membre

Appréciations

Nom Notes
Daniel Grivel 18
Geneviève Praplan 18