Critique
«Hirsutes, miteux et plus moches que les Beatles!» disait la presse anglaise des Rolling Stones. Quarante ans plus tard, Martin Scorsese leur rend un hommage musical réussi.
Attention: si vous n’aimez pas le rock’n’roll des Stones et/ou les gesticulations de Mick Jagger, passez votre tour et tournez la page. Mais si le phénomène socio-musical incarné par les quatre célèbres lascars - ici entourés d’une bande de musiciens de talent - vous intéresse, si vous sentez poindre en vous une petite nostalgie - avis aux sexagénaires, même si le public du concert filmé par Scorsese est jeune aussi! - vous pouvez vous risquer à lire les lignes qui suivent… Et peut-être même à aller voir SHINE A LIGHT.
«La musique est pour moi aussi importante que le cinéma. Elle m’inspire constamment. Elle imprègne mes images, mes mouvements d’appareil, mon montage. Je sais que, sans la musique, je serais perdu», avoue Martin Scorsese, qui a toujours eu un faible pour les Rolling Stones. On pourrait en effet s’amuser à retrouver les titres des chansons du groupe qui accompagnent LES INFILTRES, LES AFFRANCHIS ou CASINO. On rappellera aussi les fréquentes allusions de Scorsese au célèbre documentaire réalisé par David et Albert Maysles (GIMMIE SHELTER, 1970) sur le tragique concert donné en 1969 par les stars du rock près de San Francisco (un jeune spectateur fut tué par le service d’ordre des Hell’s Angel).
Cela dit et ces petits rappels historico-cinématographiques terminés, le documentaire du réalisateur américain tient la rampe pour deux raisons au moins. D’abord par la musique, parfaitement enregistrée et restituée, par le plaisir que l’on prend à réécouter (et à voir) quelques «tubes» anciens ou récents: «Jumpin’ Jack Flash», «Loving Cup» (ici avec Jack White III), «You Got The Silver» (chantée par Keith Richards) et l’incontournable «(I Can’t Get no) Satisfaction» pour n’en citer que quatre. Pour ce concert, enregistré dans la petite salle du Beacon Theatre de New York, fin octobre 2006, les Stones ont choisi un programme éclectique et ont invité, en «guest stars», plusieurs de leurs amis musiciens.
Mais SHINE A LIGHT reste avant tout un hommage réussi aux quatre personnages hors normes d’un groupe dont la longévité reste sans concurrence (trois des quatre musiciens jouent ensemble depuis 1963, tandis que le quatrième, Ronnie Wood - qui a gardé son étiquette de «petit nouveau»… - les a rejoints en 1976). Inutile d’ajouter que chaque interprétation est parfaitement rodée, peaufinée jusqu’à la dernière note, calibrée au millimètre près.
Une deuxième raison d’apprécier SHINE A LIGHT réside dans la performance cinématographique réalisée par Scorsese. Lors du tournage du concert, le cinéaste a pu disposer de 16 caméras et ce qu’il a retenu au montage est tout simplement parfait: précision des détails, observation fine des gestes, des expressions des visages, enchaînement harmonieux des séquences, tout est réussi dans ce portrait des icônes du rock, qu’elles se trouvent dans les coulisses ou sur la scène.
Scorsese a pu s’entourer de chefs opérateurs exceptionnels - on retrouve Albert Maysles (voir plus haut) et Robert Richardson, «oscarisé» à deux reprises, dont une fois avec Scorsese pour AVIATOR -, tous accompagnés d’une équipe de cadreurs de premier plan. Pas un hiatus, pas une bavure, pas une image de trop, une véritable prouesse.
On fera remarquer que l’analyse du phénomène socio-culturel qu’ont été et que sont encore les Rolling Stones se situe un peu en retrait. Scorsese a cherché à utiliser d’anciennes images, des entretiens inédits (avec Mick Jagger et Keith Richards), auxquels il a ajouté des documents d’archives des premières années du groupe, évoquant très rapidement aussi les démêlés des susnommés avec la justice, à la fin des années 60.
Tout n’a pas été parfait, ou peu s’en faut, dans la vie des Rolling Stones. Le cinéaste ne s’arrête guère sur l’aspect très souvent provocateur de leur démarche, sur leur volonté d’être, par exemple, les représentants d’une contre-culture. Il préfère capter sur la pellicule l’extraordinaire (et un peu vaine) énergie déployée sur scène de ces sexagénaires bien conservés malgré la vie qu’ils ont menée… Il est dommage pourtant que cette face du portrait des Stones ait tout simplement été survolée.
A noter enfin - pour la petite histoire - que la qualité de ce spectacle filmé est telle qu’elle pourrait amener les fans du groupe à choisir de voir SHINE A LIGHT plutôt que de se perdre dans la bousculade d’un prochain mégaconcert des Stones. En homme financièrement avisé, Scorsese y a sans doute pensé. Les Rolling Stones aussi…
Antoine Rochat