Critique
Avec INTO THE WILD, l’acteur-réalisateur Sean Penn adapte à l’écran le livre éponyme de Jon Krakauer relatant la courte vie (1968-1992) d’un étudiant américain promis à une brillante carrière, Chris McCandless, qui avait décidé, une fois son diplôme en poche, de tout plaquer et de prendre la route pendant une année «ou plus longtemps», sac au dos et sans le sou. On retrouvera sa dépouille deux ans plus tard dans un vieil autobus abandonné dans une forêt de l’Alaska.
S’appuyant sur la biographie écrite par Jon Krakauer, Sean Penn a essayé à la fois de mettre en images les deux années de fugue de Chris et de percer le mystère de cette étrange destinée. Personnage blessé par la vie (une famille désunie confondant bonheur et réussite matérielle), Chris apparaît comme un être un peu romantique, assez égoïste et intransigeant. Son long voyage - du Dakota jusqu’en Alaska, en passant par le Colorado et la Californie - l’amènera à croiser d’autres «marginaux» - un couple de hippies, un jeune agriculteur, un vieux retraité qui verra en lui le fils qu’il n’a jamais eu, tous gens sympathiques et bienveillants. Cette description d’une autre Amérique, ces rencontres avec des inconnus sont les meilleurs moments du film, mais Chris ne s’attachera à personne. Seule la nature le fascine, il veut vivre la vraie vie, «à la dure», il s’enfoncera dans la solitude des steppes sèches et froides de l’Alaska.
Les images s’accompagnent par instants de deux voix off: celle de Chris - son journal intime a été retrouvé - et celle de sa sœur Carine qui a conservé les lettres que ses parents et elle avaient tenté d’envoyer à Chris et qui leur sont toutes revenues (il était parti sans laisser d’adresse). Deux voix qui ponctuent les étapes du voyage, les différents chapitres et les nombreux retours en arrière ménagés dans un récit qui cherche ainsi à éviter la monotonie.
On regrettera pourtant que INTO THE WILD n’apporte guère de réponses aux questions qui peuvent se poser: la mésentente conjugale, les choix existentiels contestables des parents suffisent-ils à expliquer le besoin d’exil de Chris? Le refus d’une société qu’il estime empoisonnée, son désir de retrouver la simplicité de la nature sont-ils assez forts pour l’engager dans cette errance finalement égocentrique? Sean Penn ne porte pas de jugement. Tout au plus glisse-t-il dans la bouche d’un des personnages que «le bonheur n’est réel qui s’il est partagé». Un bonheur que Chris a eu plusieurs fois l’occasion de saisir, mais il s’est toujours dérobé.
S’agissant d’une histoire dont on devine assez tôt le dénouement, le film - trop long - ne réussit pas à donner une épaisseur suffisante au propos. Seules exceptions, quelques ébauches de dialogue vite désamorcées. INTO THE WILD s’oriente trop souvent vers une mise en évidence des décors (souvent très beaux), vers certains effets visuels inutiles et peu en concordance avec le tragique des situations. Emile Hirsch campe un Chris crédible mais ambigu, conjuguant naïveté et profondeur, détermination et refus de s’engager, rigueur et confusion de pensée. Au final un film honnête, mais maladroit dans sa démarche.
Antoine Rochat