Retour à Gorée

Sur une idée du chanteur Youssou N'Dour et avec sa collaboration, ce documentaire en forme de road movie remonte aux sources douloureuses de la mémoire du trafic triangulaire dont Gorée fut l'un des ports phares, au temps où des millions d'hommes et de femmes furent retirés de l'Afrique pour être réduits en esclavage, aux Amériques notamment. L'aventure débute lorsque le chanteur africain expose son projet au conservateur du lieu historique, chef et griot local, figure tutélaire qui lui accorde sa bénédiction. Youssou N'Dour peut donc partir, rassembler chanteuse, quartet vocal (les Harmony Harmoneers) et musiciens de jazz, d'Europe et des Etats-Unis, dont l'excellent pianiste aveugle Moncef Genoud.

Ainsi, de Dakar à New York, en passant notamment par La Nouvelle-Orléans et Atlanta, ils peuvent tous ensemble créer, faire mémoire et faire entendre la musique du chanteur africain sur des arrangements jazzy et avec des inflexions et des rythmes afro-américains. Lors d'une étape new-yorkaise en studio, Amiri Baraka (Leroi Jones) se joint pour scander et raconter la sombre odyssée, le poète de Harlem dont la rhétorique fait écho à celle du griot africain. Une fois le groupe formé et uni, c'est le retour à Gorée, où se mêlent l'histoire et le mythe.

Là, le concert prend les allures d'une incantation, ce qui ne surprend guère tant la musique crie et psalmodie la douleur ancestrale et la vie plus forte encore. La proximité de Pierre-Yves Borgeaud par rapport au chanteur dakarois emmène donc progressivement le spectateur à découvrir les arcanes de la mémoire humaine qui a donné naissance au negro spiritual, au chant de travail et au jazz. C'est dire qu'au-delà de toute démonstration, les images fortes, la musique envoûtante, les moments intenses de création, les partages émotionnels et spirituels attestent finalement de l'étonnante fécondité d'une tragédie.