"Seul film italien présenté en sélection officielle à Cannes, Mon frère est fils unique a été très applaudi. Un succès tout à fait mérité, une belle réussite, et l'on ne va pas mégoter sur un ou deux détails.
Accio (""la teigne""), à 14 ans, est une véritable chipie. D'où son surnom: farouche, polémique, bagarreur, les nerfs à fleur de peau, il fait le désespoir de son entourage. Son frère Manrico, lui, est beau, aimé de tous, parfois un peu ombrageux. Dans une petite ville provinciale du Latium des années 60-70, les deux frères se battent sur deux fronts politiques opposés: Accio rejoint le M.S.I. (d'obédience fasciste), tandis que Manrico choisit la gauche et rallie la branche armée d'un groupuscule extrémiste. Tous deux aiment la même femme et traversent, dans une confrontation sans fin, une période faite de fugues, de retours, d'échanges de coups et de grandes passions. Daniele Luchetti - on se souvient peut-être de l'excellent Il Porta Borse (1991) - nous livre ici un film attachant, joyeux et dramatique à la fois. Un sens et une maîtrise du récit évidents, de jeunes acteurs remarquables, une revisitation d'une quinzaine d'années qui ont fortement marqué politiquement l'Italie de cette époque, un scénario écrit par les auteurs de Nos meilleures années dont on retrouve par ailleurs quelques thèmes assez proches. Du vrai cinéma, et un vrai plaisir.
Antoine Rochat
Ce film présenté au Festival de Cannes 2007 ainsi qu’au Festival de Locarno séduit dès les premières images par l’intensité et la vitalité qu’il dégage.
Latina, ville située à 70 km au sud de Rome et construite sur les ordres de Mussolini.
Accio (Elio Germano), petit dernier d’une famille de trois enfants, est un adolescent farouche, irascible que sa famille appelle gentiment «la Teigne» (Accio en italien). Il agit par instinct, il aime la bagarre et vit chaque bataille comme une guerre, tant contre les siens que contre ceux qui le croisent, et va se laisser entraîner dans le parti fasciste. Son frère Manrico (Riccardo Scamarcio) est beau, charismatique, aimé de tous - sa famille n’en a que pour lui - et milite dans le parti communiste. Dans la province italienne des années 60 et 70, les deux jeunes hommes s’affrontent sur deux fronts politiques opposés. Leur rivalité va se trouver exacerbée par la conquête d’une même femme dont ils sont amoureux. Ils traversent une partie de leur vie faite de fugues, de retours, d’échanges de coups et de grandes passions. C’est l’histoire de leur parcours pendant 15 ans.
Pour le scénario tiré d’un roman, le réalisateur s’est adjoint la collaboration des deux scénaristes de talent Sandro Petraglia et Stefano Rulli (
Nos meilleures années). Nous est ainsi décrite l’évolution civile et sociale d’une région à travers ses personnages, des êtres qui aiment, qui souffrent, qui rient et qui font aussi de la politique. «Une fraction d’Italie faite d’exclus, de petits frères, d’enfants dont personne n’avait le temps de s’occuper, de garçons intelligents qui ont emprunté une mauvaise voie, qui ont obéi à des mots d’ordre efficaces et superficiels seulement parce qu’ils étaient à la recherche d’une identité, d’un ami qui puisse les écouter, de quelqu’un avec qui partager leur temps», dit le réalisateur.
Daniele Luchetti élabore affectueusement les portraits de ses personnages. Accio se construit en opposition à son frère aîné. Généreux, sensible, intelligent, il s’engage, plus par provocation que conviction, dans le parti que ses pairs décrivent comme un idéal à retrouver, à savoir le fascisme. Il gagne notre sympathie. Inversement, Manrico, plus théâtral, suit les traces de son père dans la cause de la défense des ouvriers, en affichant des convictions maoïstes ainsi que des intentions pas toujours claires. Tous deux disent leur attachement à la patrie, attachement qui comble l’effacement et l’absence du père. Si le réalisateur ne prend pas parti, il ne se prive pas de brocarder l’aspect détestable du fascisme tout comme l’allure de farce que prend le communisme dans une petite province. Et il décrit le fonctionnement du système familial italien en osant la caricature: mère adulée, père jouant stupidement la carpette, engueulades, frictions, pleurs, cris. Accio va mettre une quinzaine d’années pour sortir de cocons étouffants, pour se trouver lui, avec une force humble. Il en sera tout autrement pour son frère.
Entrelaçant avec intelligence reconstitution historique, comédie grinçante, satire politique et mélodrame familial, le réalisateur réussit à maintenir un équilibre entre les divers ingrédients, le tout lié de surcroît par des illustrations musicales en phase avec l’époque et créant une atmosphère prenante. Rythme trépidant, répliques qui sonnent juste. Un divertissement intense, humaniste, profond, au parfum des grandes œuvres du cinéma italien.
Claudine Kolly