Critique
"Aux quatre coins du monde, quelques sites de production agro-alimentaire. Le réalisateur nous donne à voir leur fonctionnement qui révèle les aberrations des systèmes globalisants. Sont interrogés non seulement des pêcheurs, des fermiers, des biologistes, des agronomes, ou Jean Ziegler, mais aussi le leader mondial des ventes de semences dont le slogan We feed the world (Nous nourrissons le monde) donne son titre au film, ainsi que le P.-D.G. de Nestlé, la plus importante multinationale agro-alimentaire mondiale.
Le dossier est accablant. Il nous fait parcourir le monde: au sud de l'Espagne (Almeria), avec ses 25'000 hectares de serres de plastique - qui ont dévasté les sols, épuisé les nappes phréatiques -, où l'on cultive des tomates et autres légumes acheminés à grand coût de fioul et de kérosène sur les marchés d'Europe et d'ailleurs. Au Brésil, où 350'000 hectares de forêts ont été détruites pour imposer la culture du soja afin de nourrir le cheptel des pays européens, ce qui provoque rareté et empoisonnement de l'eau pour les populations limitrophes. Et quand on sait que les populations du nord du Brésil souffrent de malnutrition... En Roumanie, la culture ancestrale est sabotée par des offres de semences hybrides et onéreuses. Des petits pêcheurs racontent comment l'Europe n'en a que pour la pêche industrielle. La concentration de la production de poulets en Afrique du Sud ou en Asie donnera lieu à un trimballage par millions de pièces sur des milliers de kilomètres jusqu'à nos assiettes.
Les experts sont unanimes: ""Toujours à la clé les mêmes problèmes de dévastation de l'environnement, les mêmes conséquences sur l'équilibre économique local, les mêmes conséquences sur la survie des paysans et des populations."" Et partout, quand la surproduction provoque la baisse de prix, s'étend le découragement chez les petits producteurs. Et la surproduction renforce cette envie de manger des fraises à Noël, et des tomates, même insipides, toute l'année.
Depuis des années, les associations de consommateurs et le WWF dénoncent les pratiques aberrantes et appellent à acheter des produits de saison et indigènes si possible. Ici, Erwin Wagenhofer brosse un constat d'une lucidité implacable sur les mécanismes qui conduisent à une accélération de la compétition dans une industrie faite pour nourrir la vie et qui sème la mort. ""Avons-nous besoin qu'on laisse mourir tant de monde pour vivre?"" interroge Jean Ziegler.
Voilà des images et des réflexions qui secouent. Il y a suffisamment de pièces au dossier pour ne pas le réduire à de la fiction ou de la propagande écologiste. Qu'au moins soit éveillé le bon sens du consommateur... à défaut de voir modéré l'appétit inextinguible des multinationales dont la loi est dans la logique du dieu Bénéfice."
Ancien membre
