Critique
"Comment vit-on la démence sénile de son conjoint? Sarah Polley propose une approche lumineuse.
Révélée par Atom Egoyan dans DE BEAUX LENDEMAINS (1997), la comédienne Sarah Polley n'a que 28 ans. Et la voici qui signe un film marqué par l'âge et la maladie, avec la grâce et l'empathie de quelqu'un qui sait de quoi il parle. Il est vrai que l'histoire était prête, L'ours traversa la montagne, une nouvelle d'Alice Munro. Encore fallait-il savoir l'adapter. Plus, s'intéresser aux questions qui touchent au vieillissement, sujet qui fait fuir les foules en général, le commerce en particulier. ""C'est l'histoire d'amour la plus profonde que j'aie jamais lue. J'ai pensé qu'il était vraiment intéressant d'offrir un regard sur l'amour après un long mariage, au lieu de se focaliser sur ce qu'on explore habituellement, c'est-à-dire le début. Je trouve d'ailleurs ça un peu lassant"", explique-t-elle.
Ces vieux mariés sont Fiona (Julie Christie) et Grant (Gordon Pinsent). Quarante-quatre ans de mariage n'ont pas fané leur complicité. Mais Fiona souffre de pertes de mémoire de plus en plus graves. Elle décide d'entrer dans un établissement spécialisé, afin de ne pas peser sur le quotidien de son mari. Il respecte le désir de son épouse, mais en souffre profondément. Il en souffrira encore plus lorsque, ne le reconnaissant plus, Fiona se détache de lui pour s'occuper d'Aubrey (Michael Murphy).
Ce n'est pas la première fois que le cinéma s'intéresse à la maladie d'Alzheimer et aux démences séniles. IRIS, de Richard Geyre en 2001, SE SOUVENIR DES BELLES CHOSES de Zabou Breitman en 2002, ou encore, la même année N'OUBLIE JAMAIS de Nick Cassavetes, s'y étaient risqués. Sarah Polley fait mieux, avec un regard d'une maturité remarquable. Son observation de la dégénérescence est patiente, mesurée, subtile, elle qui dit n'avoir jamais fréquenté de personnes atteintes.
Cela dit, le point de vue n'est pas celui du patient, mais celui du proche. Grant voit l'esprit de Fiona se détériorer et Sarah Polley filme cet homme anéanti par ce qui lui arrive, bouleversé par la séparation que lui impose Fiona, faisant front par amour pour elle. Après la séparation viennent les visites. Sa meilleure volonté se heurte constamment aux aller-retour de la maladie, espoirs d'un regain de connaissance, quelques minutes avant un nouveau reflux. Le voici doucement repoussé au profit d'un nouvel amour. Sa patience n'a pas de limite, mais on croit entendre le bouillonnement de sentiments contradictoires qui le remuent
On ne réalise pas un film pareil sans des acteurs formidables. Ils le sont. Julie Christie et Michael Murphy dans leur maladie, Gordon Pinsent dans ses interrogations, Olympia Dukakis dans son bon sens. Entre eux et la réalisatrice, le courant passe à merveille. Ensemble, ils touchent les points centraux du problème et les mettent en lumière discrètement. En écho à la maladie et à la solitude, les paysages offrent les grands espaces vides d'un lac gelé. L'image est toujours judicieusement choisie.
Un film désespéré? Non. Difficile, intense, oui. Mais sa fin est intelligente et ouverte. Au bout du compte, rien n'est perdu. On le réalise au tout dernier moment, lorsque Grant parvient à abandonner ses sentiments de culpabilité et réapprend à vivre."
Geneviève Praplan