Inland Empire

Affiche Inland Empire
Réalisé par David Lynch
Pays de production
Genre
Acteurs Jennifer Peedom
N° cinéfeuilles 541

Critique

"Au sortir de cette étrange et somme toute envoûtante réalisation, les questions ne manquent pas. De quoi parle ce film? Quel est son thème? Quelle en est la trame? Que signifie son titre?... Ce qu'il faut d'emblée préciser, c'est qu'il s'agit là d'une réalisation d'art et d'essai de la part d'un cinéaste très créatif. Surprise et désarçonnement sont donc au rendez-vous. Aussi voici quelques pistes suggestives, tout en sachant que pour vraiment les explorer, une seule vision ne suffira probablement pas.

Tout commence pourtant comme un film classique, où il s'agit d'acteurs réunis pour le tournage remake d'un film inachevé. Mais la première demi-heure passée, tout se complique puisque s'insère un film (des films) dans le film et que les scènes débouchent les unes sur les autres à la façon dont s'enchaînent des escaliers qui montent ou descendent dans certains tableaux du maître de l'illusion d'optique qu'était Escher. Du coup, l'on se transporte sans avertissement de l'Inland Valley, région du sud de la Californie, à la ville polonaise de Lods, qui fut par ailleurs l'un des sujets d'une exposition de photographies de Lynch. Logiquement Hollywood serait censé représenter la réalité et la Pologne la fiction, mais n'est-ce pas l'inverse comme si une prostituée là-bas rêvait son existence? Et alors qu'apparaît à l'écran de temps à autre un vieux vinyle, une question se pose: sur quelle face se joue le réel et entend-on véritablement les bruits et la fureur du monde? L'actrice ne fait-elle qu'inventer ce qui lui arrive ou l'éprouve-t-elle réellement? Quant aux cent pas sur Sunset Boulevard, se présentent-ils comme une manière de fouler au pied les stars ou d'annoncer qu'une étoile est née?

Lynch a-t-il filmé ""l'empire intérieur"", autrement dit les peurs et les mondes fantas(ma)tiques de son personnage principal (magnifiquement incarné par Laura Dern) qui s'apprête à interpréter un rôle dangereux pour sa vie privée? Et si la peur habite bien souvent cette femme qui paraît ne plus savoir où elle est et en est (jusqu'à consulter une sorte d'étrange psychanalyste), il en va peu à peu de même du spectateur qui a perdu tous ses repères et se voit livré à l'image déroutante jusqu'à l'angoisse.

Trucages et astuces, signes et symboles forts (voir l'offre d'une dernière lumière avant la mort) se succèdent dans ce film où l'impression dominante est celle d'une réalisation où plans et séquences s'emboîtent avec une redoutable habileté à la façon des poupées russes. Dans ce mouvement, le réalisateur explore-t-il son propre monde mental, avec ses souvenirs, en multipliant les allusions à ses précédents films? Ou tout cela n'est-il qu'un trompe-l'œil comme le propose une séquence récurrente (extraite de sa série TV ""Rabbits"") où des personnages à tête de lapins regardent la télévision, alors qu'eux-mêmes apparaissent à l'écran qu'ils contemplent?... Ou s'agit-il plutôt d'un voyage dans l'inconscient, comme le suggère un trou dans une étoffe causé par une brûlure de cigarette et qui permet de basculer dans un autre univers?...

A l'issue du long métrage, retour dans un studio de Hollywood où le metteur en scène (Jeremy Irons) du film initial en travail crie: ""Coupez."" Mais est-ce finalement pour signifier qu'une œuvre s'achève ou au contraire qu'une œuvre commence, grâce aux images troublantes et fortes qu'emportera le spectateur enfin rendu à la vie car le cordon ombilical aura été tranché par le géniteur Lynch?"

Serge Molla