Critique
Pierre-Paul Renders a à son actif quatre documentaires tournés pour Médecins sans frontières. Son premier long métrage est un film d'anticipation (pas tant que ça, au fond: nous y sommes quasiment déjà), sur un scénario de Philippe Blasband, romancier, nouvelliste, écrivain et metteur en scène de théâtre, scénariste de UNE LIAISON PORNOGRAPHIQUE notamment).
Entièrement en caméra subjective, le dernier plan mis à part, le film nous conte l'histoire de Thomas Thomas, agoraphobe profond qui, depuis huit ans, n'est pas sorti de son appartement et n'y a laissé entrer personne. Il survit grâce au visiophone, à la domotique, à l'e-shopping, à tous les moyens virtuels offerts par les autoroutes de l'information. Son handicap psychique le met au bénéfice de prestations étendues de sa compagnie d'assurances: assistance sociale et psychologique, rente d'invalidité, etc.
Pendant toute la durée du film, le spectateur se sent donc dans la peau de Thomas, dont il n'entend que la voix off (l'acteur n'apparaît qu'à la toute fin, vu de dos et à contre-jour...), et a l'impression de se trouver face à un écran cathodique, avec le statisme de la webcam et les défauts de balayage que cela peut comporter.
On commence par une séquence de cybersexe, brillamment animée par le Studio Sparx (lequel s'est déjà illustré dans MA VIE EN ROSE et CRYING FREEMAN), où l'on voit une ravissante créature virtuelle, costumée en groom comme Spirou - le film n'est-il pas belge?... - répondre aux fantasmes de Thomas.
Des personnages fort divers se succèdent: la mère très envahissante de Thomas; l'agent d'assurances, archétype du fonctionnaire; le psychologue de service qui, pour secouer son patient, l'inscrit à un club de rencontres; la patronne d'une officine pourvoyant sur ordonnance des «hôtesses» professionnelles et médicales aux handicapés; une candidate au mariage un peu paumée; une hôtesse peu professionnelle (magnifique Aylin Yay) qui aidera Thomas, amoureux d'elle, à sortir de sa névrose et de sa réclusion volontaire, et finalement à se couler dans le moule de la «normalité» régnante.
Intéressant, intelligent, un peu verbeux, le film pèche par un certain délayage, qui incite à penser qu'il aurait fait un bon court métrage, et une fin prévisible longtemps à l'avance. Des références à Kafka ou à Huxley lui auraient donné plus de substance, et la réflexion sur le rôle croissant du virtuel dans la vie de l'individu aurait pu être plus approfondie.
Daniel Grivel