Critique
Richard Linklater (BEFORE SUNRISE, ROCK ACADEMY) quitte ici le divertissement et s'attaque à la malbouffe, par le truchement d'un film de fiction mâtiné d'éléments documentaires, à l'image des hamburgers mêlés de bœuf 3e catégorie et de graisse...
Don Henderson, responsable marketing d'une chaîne de fast-food, est chargé d'enquêter sur l'usine fabriquant les palets de viande hachée surgelée, car le taux de bacilles coliformes est trop élevé dans les Big Ones, et le grand patron ne veut pas être accusé de faire manger de la m... à ses clients. Derrière des allures de clinique (tout est blanc, des parois aux bottes et aux blouses) se cache l'exploitation éhontée d'immigrants mexicains clandestins (on retrouve avec plaisir Catalina Sandino Moreno, révélée par MARIE PLEINE DE GRÂCE).
Commençant comme un thriller, le film vire à une dénonciation didactique qui se laisse voir. Sans atteindre à l'acidité de SUPERSIZE ME, il y a des faits qui méritent d'être mis en évidence - sans parler de l'obsession pour une alimentation aseptisée qui peut nous faire sourire, nous qui savons que nos fromages se caillent mieux si quelques particules de bouse se joignent aux ferments synthétiques...
FAST FOOD NATION a fait partie de la sélection officielle de Cannes 2006 (voir CF n. 526/7 p. 27), mais n'a rien décroché. Il est vrai que, à côté des lauréats, il ne faisait peut-être pas le poids, mais il ne laisse pas indifférent, car son sujet n'est pas anodin, puisqu'il décline sur un mode plus aguicheur les révélations du documentaire SUPER SIZE ME (voir CF n. 484, p. 15).
Le film est tiré d'un best-seller d'Eric Schlosser. L'auteur a refusé toutes les propositions d'adaptation à l'écran faites par des chaînes de télévision, craignant que son propos ne soit émoussé ou récupéré sous la pression des gros annonceurs que sont les marchands de restauration rapide. Il a préféré faire confiance au métier de Richard Linklater (BEFORE SUNRISE, A SCANNER DARKLY), et il a eu raison.
Don Henderson (Greg Kinnear) est un jeune cadre dynamique californien en marche vers la réussite: jolie famille, villa et voitures luxueuses, train de vie confortable, mais au prix d'un travail accaparant:, car il est responsable marketing d'une grande chaîne de restauration rapide dont le Big One, hamburger-phare, bat des records de vente. Mais il y a un hic: les palets de hachis de bœuf surgelé sont infectés par des bactéries coliformes (vous savez, on en parle chaque été à propos des plages contaminées par les matières fécales). Son patron le charge d'enquêter.
Après un détour par les laboratoires où des chimistes astucieux parfument les mets grâce à des arômes synthétiques, Don se rend dans le Colorado, terre d'intense élevage bovin où se trouve la fabrique des palets incriminés. En parallèle, on a l'occasion de voir comment sont recrutés les ouvriers: il s'agit de clandestins mexicains astreints à une docilité sans faille sous peine de dénonciation, et on suit le cheminement d'une jeune femme, Sylvia (Catalina Sandino Moreno, révélée dans MARIE, PLEINE DE GRÂCE), venue tenter sa chance. On découvre aussi les coulisses d'un restaurant de la chaîne où des lycéens, derrière une amabilité factice, crachent sur la garniture du hamburger avant de le servir...
Un abîme sépare le monde dans lequel Sylvia travaille durement et celui qu'on veut bien montrer à Don. D'un côté l'abattage, l'ébouillantage, le dépeçage, le découpage et le conditionnement des vaches, le tri des abats et des entrailles, la mise à gauche des aloyaux; de l'autre des locaux carrelés d'une blancheur de clinique et lessivés à grande eau et à la vapeur. Le jeune cadre, qui a gagné la confiance du directeur du restaurant, obtient de lui quelques noms qui lui permettront d'obtenir des informations véridiques; c'est ainsi qu'il rencontre Rudy (Kris Kristofferson), ancien éleveur désabusé qui a vendu son domaine à des lotisseurs) et Harry (Bruce Willis), profiteur cynique du système pour qui il suffit de cuire les aliments à une température suffisante pour éliminer le problème...
Don va-t-il dévoiler le pot aux roses ou, comme les troupeaux que de jeunes écolos idéalistes veulent libérer, rester parqué dans son enclos?
Pour dessert, quelques chiffres qui donnent à réfléchir. Chaque jour, un Etasunien sur quatre se nourrit dans un fast-food; quand il sort, il va une fois sur deux dans ce type de restaurant; le seul marché annuel des Etats-Unis dépasse 110 milliards de dollars; à la fin des années 90, le ministère américain de l'agriculture a révélé que, sur des échantillons de bœuf utilisés par cette industrie alimentaire, plus de 7% étaient contaminés par la salmonelle, plus de 10% par la listéria, plus de 30% par des staphylocoques dorés. Bon appétit, Mesdames et Messieurs!...
Daniel Grivel