Critique
"THE ROAD TO GUANTANAMO, c'est l'histoire (vraie) de quatre jeunes gens ordinaires entraînés dans une suite d'événements extraordinaires qui les mèneront jusqu'à la prison de Guantanamo. Une odyssée tragique qui est un véritable cauchemar, une descente aux enfers.
Quatre Britanniques d'origine pakistanaise (Asif, Shafiq, Ruhel et Monir) quittent Tipton et l'Angleterre en septembre 2001 pour retourner dans leur pays natal, à l'occasion d'un mariage et de leurs vacances. A Karachi, un cousin de Shafiq les exhorte à se rendre en Afghanistan - on est au lendemain des attentats contre les Twins Towers - pour apporter de l'aide à la population. Les Américains bombardent le pays, traquent les talibans. Les quatre amis relèvent le défi, chacun d'eux considérant avant tout cet engagement comme une aventure personnelle. Mais, une fois à Kaboul, les voilà bousculés, puis entraînés par les événements. Lorsqu'ils veulent rebrousser chemin, il est trop tard: Monir disparaît, tandis que les trois autres sont arrêtés à Konduz par l'Alliance du Nord, puis emprisonnés à Sheberghan, et enfin emmenés à Kandahar où les Américains les embarquent pour Guantanamo, à Cuba. Les services secrets US sont persuadés qu'ils appartiennent au réseau Al-Qaida, ils disent les avoir reconnus sur un film en compagnie d'Oussama Ben Laden.
Michael Winterbottom et Mat Whitecross avaient entendu parler des ""Three Tipton"", ces trois héros involontaires victimes d'une extraordinaire méprise et d'un terrifiant enchaînement de circonstances (ils ne seront libérés qu'avec l'aide d'avocats, deux ans plus tard, en mars 2004, sans qu'aucune charge n'ait jamais pu être retenue contre eux). Les journaux avaient raconté la vie de ces adolescents, peu engagés sur le plan politique ou religieux (cf. art. Le Temps, 04.05.2006).
Les deux cinéastes ne se sont érigés ni en juges, ni en enquêteurs, se bornant à interviewer les intéressés en tête-à-tête - des entretiens qui sont intégrés au film -, puis à confier leurs rôles à de jeunes acteurs. THE ROAD TO GUANTANAMO est ainsi une mise en images très construite des récits recueillis, un film qui, par son rythme souvent heurté, ne laisse guère de répit au spectateur. Seules les interventions orales des véritables protagonistes permettent de tempérer la dramatisation voulue de la narration.
Car dramatisation il y a: le voyage, puis l'incarcération à Cuba, sont remplis de violences (mauvais traitements et pressions psychologiques, interrogatoires musclés et tortures, la liste est longue et les images font souvent frémir). Les deux réalisateurs ont sans doute suivi scrupuleusement les indications données par les victimes elles-mêmes, entrecoupant et accompagnant leurs récits de documents d'archives et de nouvelles télévisées (exclusivement anglaises et américaines), fournissant ainsi au spectateur un point de vue (occidental!) et le minimum de renseignements indispensables (lieux, dates, personnes).
Les deux cinéastes anglais ont fait appel à de jeunes acteurs pratiquement inconnus qui parviennent, avec naturel, à se mettre dans la peau de ces quatre personnages bousculés par une histoire qui les dépasse. Sur ce plan-là, le film est réussi. On regrettera néanmoins sa composante émotionnelle, son côté souvent ""spectacle"" cherchant à choquer (plusieurs effets visuels sont inutiles). Par ailleurs, les auteurs se limitent souvent à juxtaposer, dans ce mélange fiction-documentaire, la version des événements telle qu'elle leur a été rapportée par les trois Britanniques avec celle des actualités télévisées.
THE ROAD TO GUANTANAMO reste, malgré ces réserves, un film intéressant. S'il cherche à s'inscrire dans la ligne d'un cinéma politique qui semble renaître depuis quelques mois, il ne peut toutefois pas prétendre occuper les premières places. GOOD NIGHT AND GOOD LUCK., SYRIANA, d'autres films encore ont réussi à intégrer l'actualité récente, utilisant la forme et les moyens d'expression du 7e art pour les mettre au service d'une réflexion sur notre monde, quitte à bousculer le spectateur. THE ROAD TO GUANTANAMO se situe en retrait, même s'il était sans doute bon de rappeler - c'est un des messages du film - que les droits de l'homme sont bafoués à Guantanamo, et qu'il peut en être de même dans d'autres lieux, dans d'autres prisons qui retiennent sans jugement, pour des motifs politiques, des centaines d'individus, en violation patente du droit international. Tout en précisant aussi que le monde ne se partage pas simple-ment, comme un certain axiome bushien le laisse entendre, entre le bien et le mal..."
Antoine Rochat