Critique
"Ruy et Tito se connaissent depuis l'enfance et font de la musique ensemble. Le premier vit avec sa compagne et ses deux enfants, le second habite seul avec sa grand-mère. Chacun se débrouille tant bien que mal pour survivre. Aussi lorsque Marta et Lorenzo, deux producteurs de musique espagnole, débarquent à La Havane, Ruy et Tito font tout pour signer un contrat. C'est la chance de leur vie, du moins le croient-ils.
La caméra s'attache aux pas des deux musiciens et les suit dans leur tentative de quitter Cuba. Le centre de gravité du film repose en grande partie sur eux et sur Caridad - la compagne de Ruy, mère de famille qui cherche à assurer son avenir et celui de ses enfants. Caridad a le projet de quitter l'île, cela d'autant plus que Ruy ne pense qu'à sa musique et n'hésite pas à mettre en péril leur vie de couple.
HABANA BLUES est d'abord un film musical, avec une bande-son toute remplie de compositions, une musique avant tout ""alternative"" ou underground assez différente de celle, plus traditionnelle, qu'on connaît depuis BUENA VISTA SOCIAL CLUB. Une musique qui apporte à chacun l'élan vital nécessaire, tantôt dictant son rythme au récit, tantôt sachant se mettre en retrait lorsqu'elle n'est plus indispensable. Une structure musicale qui cherche aussi à infléchir, à travers les chansons, les événements. Et qui, par un effet de retour, va suivre et s'adapter aux diverses péripéties de toutes ces existences.
Le réalisateur espagnol Benito Zambrano brosse, de façon impressionniste, un tableau de la vie quotidienne à La Havane. Une ville qu'il connaît d'ailleurs fort bien pour y avoir vécu une douzaine d'années et pour y avoir suivi toute sa formation de cinéaste. Le film est donc rempli d'allusions à des problèmes sociaux: la pauvreté est présente, on prend la mesure des petits trafics, de la débrouillardise de chacun, sans parler du déracinement culturel de certains habitants et de leur envie de quitter l'île. Dynamique et fortement présente, la caméra de Zambrano excelle à saisir les moindres détails révélateurs de la vie intérieure des personnages, leurs gestes, leurs regards, leurs silences. Et Zambrano sait aussi, au travers de la description de toutes ces trajectoires particulières, retrouver le domaine de l'universel.
Film de divertissement (par la musique) et de réflexion (sur le sens de l'existence), HABANA BLUES joue avec intelligence et subtilité sur l'émotion, brossant les multiples portraits de personnages souvent complexes, toujours attachants. Chacun - ou presque - avance dans l'existence avec un souci de cohérence, de dignité aussi, dans sa recherche du bonheur. En particulier Caridad, beau portrait de femme, plus combative et plus mûre aussi que son compagnon."
Antoine Rochat
