Critique
"A Medellin, en 2002, la police a enregistré plus de 4'300 homicides, environ 12 par jour. Le réalisateur franco-suisse François Bovy est allé retrouver son frère en Colombie. ""Mon arrivée à Medellin fut un choc, mais aussi un moment très fort. Dans cette ville à la mauvaise réputation, où la vie ne vaut pas grand-chose, j'ai eu un sentiment d'urgence, l'impression qu'il fallait profiter de chaque instant car on ne sait jamais ce qui peut se passer."" Voir ce MELODIAS, qu'il a tourné avec un maximum de discrétion, provoque les mêmes réflexions: tout peut arriver, mais au fond, est-ce si grave? La vie mérite-t-elle qu'on lui accorde tant d'importance puisqu'on sera peut-être mort dans l'heure qui suit?
La violence qui ronge la Colombie n'est plus un secret depuis longtemps. Mais François Bovy la montre à travers la cruelle sérénité de ceux qui la côtoient au quotidien. Dario, le chauffeur de taxi, a été kidnappé avec son fils, il a cru sa dernière heure venue. Jorge a essayé de croire en la Bible; elle ne lui a pas apporté de miracle, il s'est alors tourné vers la délinquance. Edwin travaille dans la police, son père et son frère ont été assassinés. A l'hôpital, le Dr Luis Carlo est constamment sur la brèche; arrivent ici les victimes de crimes incessants. Chacun raconte son histoire, avec un mélange d'évidence et de fatalisme. Ce qui se passe, c'est l'ordinaire. La police n'en a plus la maîtrise, certains de ses membres étant eux-mêmes des tueurs. On en est à se faire justice soi-même, le mal prend parfois le visage du bien.
François Bovy a voulu ""d'un côté mettre en valeur cette prodigieuse capacité de produire des récits à la fois tristes et enjoués, et de l'autre ne pas soumettre trop rapidement leur expérience à des jugements moraux extérieurs, trop prompts à séparer le respectable de l'abject"". Les personnages qu'il filme sont tantôt des victimes, tantôt des bourreaux. La limite entre le bien et le mal est à peine perceptible. C'est justement par cette absence de frontière qu'on mesure à quel point la vie, sans elle, est insupportable. En même temps, MELODIAS éclaire de terrible façon l'extraordinaire faculté d'adaptation de l'être humain.
Le réalisateur écoute ses protagonistes qui parlent sans retenue, sincèrement, avec une sorte de plaisir de raconter. Il relie leur histoire par les chansons de deux musiciens de rues, chansons désabusées qui interposent leur douce ironie dans le vertige des témoignages. La vie est un rêve... On vit, à Medellin, cependant.
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Geneviève Praplan