Critique
"L'Afrique, champ du meilleur et du pire, est l'héroïne de ce thriller qui dénonce ""Big Pharma"", autrement dit le monde des multinationales pharmaceutiques. Car lorsque des sommes d'argent colossales sont en jeu, bien des tentations sont éveillées et les bons sentiments n'ont parfois plus que l'épiderme pour épaisseur.
Sur un excellent scénario tiré d'un roman de John Le Carré, La Constance du jardinier, Fernando Meirelles, qui en 2002 tourna LA CITE DE DIEU, livre un long métrage nerveux et haletant sur fond d'Afrique utilisée comme cobaye par un groupe pharmaceutique international. Tout commence par la découverte du corps de Tessa Quayle, épouse d'un diplomate, sauvagement assassinée en compagnie d'un médecin africain. Tout porte à croire qu'il s'agit là d'un crime passionnel. Mais l'époux silencieux, épris de son jardin, en doute. Et contre toute attente, il refuse les suppositions qui semblent arranger tout le monde, pour préférer l'établissement de certitudes même si leur quête tend à mettre en danger sa propre existence.
Bien décidé à y voir clair, le diplomate délaisse peu à peu ses chères plantes vertes (d'où le titre énigmatique) pour se plonger dans les papiers de sa femme avocate, grâce auxquels il prend peu à peu conscience des énormes enjeux financiers que représentent certaines campagnes de santé dans la région nord du Kenya. Et si ce n'était point la passion, mais les intérêts économiques qui avaient dicté le crime? Alors Justin Quayle risquerait fort de se retrouver bien seul, au moment même où un piège pourrait se refermer sur lui comme auparavant sur sa femme. Ainsi, cet homme distant et discret, aveugle ou tout du moins jusqu'ici peu attentif aux souffrances africaines, est-il conduit à ouvrir les yeux sur la détresse sanitaire locale et à grandir jusqu'à se révéler aussi sensible que sa compagne disparue.
Tourné au Kenya et au Soudan, ce film a su éviter les prises de vue touristiques pour préférer faire ""sentir"" l'Afrique avec sa lumière très particulière, ses bruits et. ses odeurs: le marché aux légumes de Kiambu, Nairobi et son bidonville Kibera, sa maternité du quartier le plus pauvre, sa morgue, son cimetière, mais aussi les collines de la Rift Valley, d'une très grande beauté, ou le lac Magadi avec ses flamants roses.
Bénéficiant du soutien du Programme alimentaire mondial de l'ONU, le réalisateur montre bien les fragilités, voire les ambiguïtés de l'aide internationale. Quant à Ralph Fiennes, il incarne avec conviction ce personnage transparent qui accède peu à peu à lui-même, qui en vient à oser quitter sa réserve de diplomate pour ""terminer ce que son épouse a commencé"". Un happy end satisferait peut-être le spectateur et ferait de ce film un spectacle. Heureusement, il n'en est rien: en finale, l'argent n'a toujours pas d'odeur et pourtant elle monte au nez. Au point qu'aujourd'hui l'Afrique sur fond d'épidémie du sida excite bien des convoitises et s'offre comme un gigantesque laboratoire, tant elle représente un marché redoutable sous la plus belle des couvertures, celle qui consiste à promouvoir la santé."
Serge Molla