Manderlay

Affiche Manderlay
Réalisé par Lars von Trier
Pays de production Danemark, Suède, Pays-Bas, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie
Année 2004
Durée
Musique Joachim Holbek
Genre Drame
Distributeur Les Films du Losange
Acteurs Willem Dafoe, Danny Glover, Jeremy Davies, Bryce Dallas Howard, Isaach de Bankolé
Age légal 14 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 504
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Etrange et perturbante, l'histoire de la plantation Manderlay. Grace et son père ont laissé Dogville derrière eux et font route vers le sud, avec l'espoir de trouver un endroit où s'établir. Par hasard, ils font une halte en Alabama, devant un large portail de fer forgé. Alors qu'ils s'apprêtent à repartir, une jeune Noire court vers la voiture et, désespérée, demande du secours à Grace. Celle-ci suit la jeune fille et, à l'intérieur de la propriété, découvre des gens vivant comme si l'esclavage n'avait pas été aboli septante ans plus tôt.

A la suite de Dogville et selon une scénographie identique, Lars von Trier réalise une œuvre beaucoup plus accessible et engagée politiquement. Sous prétexte de traiter de l'esclavage, ce film nous parle de l'Histoire, ce qui revient à dire qu'il nous entretient de notre présent en feignant de s'intéresser au passé. Les Irakiens d'aujourd'hui sont les Nègres d'hier. Mais ces Noirs galeux et ces Arabes ingrats vont faire la fine bouche quand l'Amérique tente de leur apporter les lumières de la démocratie et le rayonnement de la liberté. Message ambigu que celui-ci. Avec cette réalisation soignée et cette démonstration implacable, Von Trier voudrait-il simplement nous dire que le monde et les idées n'ont guère évolué au cours des siècles?



Georges Blanc





Ceux qui ont vu DOGVILLE ne seront pas déroutés par l'aspect formel du second volet de la trilogie.

On retrouve le même vaste plateau sur lequel se dressent quelques éléments de décor: un portique à colonnes évoquant une demeure coloniale, un muret circulaire de pierres entourant un puits dont l'eau est extraite par un âne attelé à un palan pivotant, une grille et un portail protégeant la propriété (ou empêchant d'en sortir), quelques autres accessoires. Sur le sol sont peintes des lignes et des inscriptions situant les divers lieux de l'action. Les personnages ouvrent et ferment des portes invisibles dont on entend le claquement.

On retrouve aussi Grace (Brice Dallas Howard, choisie par le réalisateur en raison de sa ressemblance avec Nicole Kidman, titulaire du rôle dans le premier film) et son gangster de père (Willem Dafoe) avec sa bande. Après avoir quitté Dogville et découvert que rivaux les ont supplantés à Denver, ils se dirigent vers le sud des Etats-Unis, dans l'espoir de trouver où s'établir. Ils s'arrêtent pour pique-niquer à proximité d'une plantation dans l'Alabama, Manderlay. Remontés dans leurs voitures, ils voient surgir de la propriété une jeune Noire qui fonce vers Grace, la suppliant de la suivre: un homme risque d'être battu à mort. Celle-ci obtempère, contre l'avis de son père, et parvient dans la cour, où un jeune Noir, Timothy (Isaach de Bankolé) est ligoté à une sorte de carcan et fouetté par un jeune Blanc.

Idéaliste, Grace constate avec stupeur que, septante ans après son abolition, l'esclavage a toujours cours à Manderlay. Elle s'oppose violemment à la matriarche, Mam (Lauren Bacall), qui la menace d'un fusil puis lui demande de détruire un livre caché sous son matelas. La vieille femme meurt. Grace décide de rester jusqu'à la prochaine récolte de coton pour mettre fin à une situation qu'elle juge intolérable et réparer les injustices et exactions commises par les propriétaire blancs; son père s'en va, lui annonçant qu'il viendra la chercher lorsque le délai qu'elle s'est imparti aura été échu; il lui laisse quatre malfrats et un avocat qui pourra être utile pour la rédaction des contrats de travail.

Mais l'idéalisme de la jeune femme ne tarde pas à être douché. On ne peut pas contraindre à la liberté, à l'autodétermination et à la démocratie des gens qui, depuis plusieurs générations, n'ont connu que l'esclavage, les maîtres blancs se chargeant de les loger, de les nourrir, décidant la date des semailles et vendant la récolte. Laissé à lui-même, au mieux vaguement conduit par une inconnue ignorant tout de la gestion d'une plantation, le personnel noir est déboussolé et, à l'image de nombreux habitants de l'ex-bloc soviétique regrettant le temps du communisme où l'Etat pourvoyait plus ou moins à leurs besoins, en viennent à avoir la nostalgie des jours où d'autres pensaient pour eux, les laissaient vivre leur insouciance.

Moins abouti que DOGVILLE, tout comme lui aux frontières du théâtre filmé (mais, comme le dit Isaach de Bankolé: ""Il y a un va-et-vient perpétuel entre la réalité et l'imaginaire""), MANDERLAY est un film ambigu qui peut laisser un certain malaise. Peu optimiste quant à l'avenir de la population afro-américaine, il montre bien que les Blancs ne sont pas encore disposés à faire le pas nécessaire, et cependant il laisse entendre que les descendants des esclaves ne sont pas encore mûrs pour prendre leur destin en main. Au bout du compte, c'est le générique de fin qui délivre le message le plus fort, sous forme d'une succession de photos d'archives allant des lynchages du Ku Klux Klan aux soldats noirs engagés au Viêt Nam.



Daniel Grivel"

Ancien membre