Tortues volent aussi (Les)

Affiche Tortues volent aussi (Les)
Réalisé par Bahman Ghobadi
Pays de production Irak, Iran
Année 2004
Durée
Musique Housein Alizadeh
Genre Drame
Distributeur Bac Films
Acteurs Soran Ebrahim, Avaz Latif
Age légal 12 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 499
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Dans LES TORTUES VOLENT AUSSI, premier long métrage tourné en Irak depuis la chute de Saddam, Bahman Ghobadi place sa caméra à hauteur d'enfants. C'est à eux qu'il dédie son film, à tous les enfants du monde qui sont les premières et innocentes victimes des atrocités guerrières. Et dont personne ne s'occupe.

Ce n'est pas la première fois que Bahman Ghobadi, cinéaste né dans le Kurdistan iranien, parle des enfants embarqués dans des conflits. Dans UN TEMPS POUR L'IVRESSE DES CHEVAUX, c'était sur la frontière irano-irakienne. Avec LES TORTUES VOLENT AUSSI on se trouve dans un village irakien, près de la frontière turque, à la veille des attaques américaines sur l'Irak. Les habitants vivent dans des conditions très précaires, de nombreux réfugiés s'abritent sous des tentes ou dans les vieilles carcasses délabrées de tanks abandonnés. Un cimetière de ferraille qui témoigne des violences passées.

Jeunes et vieux cherchent activement une antenne parabolique pour capter les nouvelles et suivre les événements par satellite. Chacun veut se tenir au courant, mais personne ne comprend l'anglais, sauf ""Kak Satellite"", un jeune garçon particulièrement débrouillard. Ses connaissances en matière technique et télévisuelle feront rapidement de lui un leader respecté aussi bien par ses pairs que par les adultes de la communauté. Le cinéaste fait de lui le fil conducteur de son récit, l'accompagnant d'un autre garçon, Pasheo, unijambiste sautillant sur sa béquille. Autour d'eux il y a aussi, dans un registre plus tragique, deux jeunes réfugiés: Hangao, mutilé, sans bras, qui a un don de prophétie et qui transmettra, mieux qu'une TV inutile, les vraies nouvelles, par le biais de ses prédictions. A côté de lui, sa petite sœur Agrin, traumatisée par son passé: violée par des soldats de Saddam, elle doit s'occuper maintenant d'un enfant, et les forces lui manquent.

Bahman Ghobadi ne cherche pas à expliquer, ni à démontrer quoi que ce soit. On le sent simplement profondément meurtri par tout ce qu'il découvre, par l'immense souffrance de son peuple. Son film, d'emblée, ne laisse aucune place au doute: si les paysages sont parfois grandioses, la vie ici n'a plus grand-chose à proposer, la mort est aux aguets. Certaines scènes touchent le fond du désespoir. Le travail d'une partie des enfants est de détecter et de ramener les mines antipersonnelles - de fabrication américaine ou européenne - enfouies dans la région depuis longtemps déjà par Saddam et consorts. Au mieux on pourra les revendre pour s'acheter de vieux fusils. Au pire on sautera avec. Le film est sans équivoque: les tortues ne voleront pas, tout au plus réussiront-elles à ne pas se noyer.

Bahman Ghobadi le dit clairement, la chute de Saddam est loin d'avoir tout réglé: ""Juste au moment où toutes les chaînes de télévision du monde annonçaient la fin de la guerre, je suis allé réaliser un film dans lequel les super-stars n'étaient ni Bush, ni Saddam, ni les autres dictateurs. Ces gens-là ont été les vedettes des médias du monde entier. On ne parlait pas du peuple irakien. Pas une image n'a été consacrée aux Irakiens eux-mêmes. Ces derniers n'étaient que des figurants... Dans mon film, les figurants, les personnages secondaires, sont Bush, Saddam. La population et les enfants des ruelles d'Irak y sont les vedettes. Je voudrais dédier ce film à tous les enfants innocents du monde qui sont victimes de la politique des dictateurs...""

Bahman Ghobadi a travaillé avec des enfants et des acteurs non professionnels. Au Kurdistan le cinéma est un art nouveau. Témoignant d'une maîtrise et d'une sensibilité remarquables, le film a obtenu, au Festival de San Sebastian 2004, la Concha de oro."

Antoine Rochat