Critique
"Deux ou trois yourtes en plein désert de Gobi, des troupeaux de moutons, beaucoup de chameaux, le dépaysement est assuré...
Un dépaysement qui n'est pas simplement géographique: L'HISTOIRE DU CHAMEAU QUI PLEURE n'a rien du dépliant touristique, il s'agit bien davantage d'un véritable conte, en même temps que d'un documentaire ""narratif"" sur un mode de vie. Pour ce faire, les cinéastes se sont installés durant sept semaines - au printemps - au milieu des bergers nomades, dans une région désertique où le vent pousse des pointes à 150 km/h, où la température descend parfois la nuit de 30°. Un climat où les lourds et chauds manteaux de feutre n'ont rien de folklorique.
A côté d'une yourte un petit chameau vient de naître, mais sa chamelle de mère ne veut rien savoir: elle refuse de l'allaiter. Le rejeton, privé d'affection, dépérit. Alarmés, les bergers se souviennent d'un rite ancien: grâce aux sons musicaux émanant d'un instrument spécial - un cousin lointain et grinçant du violoncelle -, un musicien d'Aimak, une bourgade éloignée, sait comment attendrir le cœur des animaux. On ira le chercher et le miracle se produira: la chamelle se met à pleurer, et son petit à téter...
Un film qui pourrait sombrer dans la banalité et la mièvrerie, mais il n'en est rien, tout pétri qu'il est d'une sensibilité étrange incitant le spectateur à entrer dans le jeu - on devrait dire dans la vie - des bergers mongols. Il y a là un regard et une qualité d'approche que l'on doit sans doute à la cinéaste Byambasuren Davaa, elle-même petite-fille de bergers nomades (après avoir vécu à Oulan-Bator elle décide un jour de faire des études de cinéma en Allemagne, ce qui explique que le film soit produit par ce pays et par le FilmFernsehFonds de Bayern).
""Le rituel musical décrit dans le film était monnaie courante dans la vie nomade de mes grands-parents"", précise la cinéaste. ""Aussi normal que boire du thé. J'ai interrogé de nombreux nomades, et tous m'ont dit la même chose: cela marche toujours. Cette tradition est là et tout le monde y a recours en cas de besoin.""
L'HISTOIRE DU CHAMEAU QUI PLEURE n'est pas qu'un documentaire consacré à un rituel. Il est aussi description de l'existence des nomades mongols qui vivent en autarcie. Leurs biens, ce sont les animaux. Leur richesse, c'est ce que leur donne la nature. Ils s'adaptent à elle, le contraire serait absurde.
Le film a la rigueur du documentaire dans la description de l'événement - on le suit dans tous les détails - , mais sans dérapage vers le naturalisme et sans considérations ethnographiques superflues. Les deux cinéastes ont ajouté quelques éléments de fiction, destinés à relier les scènes entre elles. Ils avouent leur admiration pour Robert J. Flaherty et ""son ambition de chercher à montrer ce que sentent les roses..."" Dans leur discrétion, leur sensibilité et leur calme simplicité, ils ne sont d'ailleurs pas loin de leur maître... L'histoire de ce sauvetage - par la musique, par l'amour des bergers pour leurs animaux - ressemble à un conte universel, à une vraie leçon de philosophie et d'humanité."
Antoine Rochat