Sibel, mon amour

Affiche Sibel, mon amour
Réalisé par Fatih Akin
Pays de production Allemagne, Turquie
Année 2004
Durée
Musique Klaus Maec
Genre Drame
Distributeur MK2 Diffusion
Acteurs Güven K?raç, Birol Ünel, Sibel Kekilli, Catrin Striebeck, Meltem Cumbul
N° cinéfeuilles 485
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Une histoire qui commence par un ""mariage blanc"", qui s'attache aux pas de deux jeunes émigrés turcs vivant en Allemagne et qui prend la forme d'un portrait désenchanté de l'existence: Ours d'Or au Festival de Berlin (2003), SIBEL, MON AMOUR est un film important, avec des moments forts, et qui évite le piège du mélodrame social.

Cahit, 40 ans, est turc. Il vit à Hambourg et les premières images du film le montrent alcoolique et drogué. Une tentative de suicide le conduira dans un hôpital psychiatrique. Dès sa sortie, ses anciens démons le reprendront. Quant à Sibel, 20 ans, mal dans sa peau, turco-allemande elle aussi, elle aime trop la vie pour rester dans sa famille, trop dévote et conservatrice à ses yeux. Elle ne veut pas devenir une musulmane convenable... Elle feindra donc une tentative de suicide pour y échapper. C'est bien sûr la honte pour ses proches, qui n'acceptent de la voir partir que si elle se marie. Elle supplie alors Cahit, à peine croisé à l'hôpital, de l'épouser, de conclure un ""mariage blanc"", synonyme pour elle de liberté. Il refuse, puis accepte à contrecœur. Pour la sauver? Pour faire quelque chose de bien? On ne sait trop. La vie conjugale se limite dès lors au partage d'un appartement, guère plus. Et tandis que Sibel savoure sa nouvelle liberté, Cahit continue à voir une ancienne amie tout en s'adonnant à l'alcool...

Ces quelques lignes de résumé ne constituent que le début d'une longue histoire qui tient à la fois de la description réaliste d'un milieu (celui des Turcs établis en Allemagne) et du mélodrame (les relations amoureuses complexes, pleines de rebondissements, que vont vivre deux êtres perturbés). Le récit est ponctué par les interventions régulières d'un groupe de musiciens, filmés en plein air à Istambul, qui créent la distanciation nécessaire, tout en rappelant l'existence d'un contexte culturel qui sert de toile de fond.

Le film de Fatih Akin, réalisateur allemand né de parents turcs, a obtenu l'Ours d'Or au dernier Festival de Berlin, et c'est un prix mérité. Le cinéaste fait preuve d'une bonne maîtrise dans l'ordonnance de l'histoire, les acteurs sont excellents, et l'on se surprend à s'attacher aux destinées de ces deux personnages qui s'efforcent, à plusieurs reprises, de ""(re)commencer une nouvelle vie"". Ce qui gêne pourtant c'est que toutes les options qu'ils choisissent sont mauvaises: il y a chez l'un comme chez l'autre un comportement fortement auto-destructeur qui les amène souvent à une forme d'avilissement difficilement supportable. Sibel, tout particulièrement, sombre parfois dans un état de vraie déchéance. Le constat est très amer, même s'il est tempéré par une dernière séquence qui laisse une petite ouverture, une sorte de compromis.

Cette histoire de deux personnages qui cherchent à rompre avec la norme reste intéressante, même si le récit - qui s'embourbe par moments ou, au contraire, procède par de (trop) brusques accélérations temporelles - ne permet pas toujours de suivre facilement l'évolution des personnages. Tout particulièrement dans les dernières images du film où, brusquement, l'existence de Sibel semble avoir pris une direction inattendue et - en tout cas pour le spectateur - inexpliquée. Sans doute le cinéaste a-t-il opté pour une fin qui ne soit pas trop désespérée, laissant entrevoir quelques signes d'une stabilité retrouvée. Mais on peine à se laisser convaincre...

Tourné à Hambourg et à Istambul, SIBEL, MON AMOUR (le titre allemand, Gegend die Wand, est plus explicite) aborde de front des questions culturelles importantes (l'intégration des Turcs en Allemagne et en Occident, le poids des traditions familiales, les problèmes d'emploi). Dans ce contexte, Cahit et Sibel vivent des situations extrêmes qui les empêchent de créer entre eux une véritable communication, au sens complet du terme. Lorsqu'ils y parviendront la vie aura déjà passé, et les malentendus accumulés auront été trop nombreux. Il sera dès lors trop tard pour ""recommencer sa vie""."

Antoine Rochat