Notre musique

Affiche Notre musique
Réalisé par Jean-Luc Godard
Pays de production Suisse, France
Année 2003
Durée
Genre Drame, Documentaire
Distributeur Les Films du Losange
Acteurs Jean-Christophe Bouvet, Sarah Adler, Nade Dieu, Rony Kramer, Simon Eine
N° cinéfeuilles 482
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Comme toute œuvre d'art, le dernier film de Godard se veut une invitation à entrer en relation, à établir la communication, à susciter la réflexion, à écouter la musique du monde et peut-être la nôtre aussi. Répondre à l'invitation suppose quelques connivences préalables.

Le film se divise en trois volets, trois lieux symboles: l'enfer, le purgatoire et le paradis.

L'enfer représenté par un bombardement d'images, en noir et blanc et en couleurs, de guerres, de combats sans ordre chronologique ni historique, d'exécutions, de corps charriés, de tanks, d'explosions... Images d'archives, de compositions, muettes accompagnées de brèves paroles et de quelques séquences de piano.

Le purgatoire, la partie la plus développée, se déroule de nos jours, à Sarajevo, à l'occasion des Rencontres européennes du livre. Se croisent personnages imaginaires et vrais écrivains. Conversations, conférences, sur la nécessité de la poésie, sur l'image de soi et de l'autre. Un lieu pour comprendre le monde, un lieu pour construire des ponts - ou les réparer - à l'image de celui de Mostar.

Le paradis, ""île"" verdoyante, gardée par quelques Marines US, où une jeune fille, qui s'était suicidée, semble trouver la paix au bord d'une rivière.

Si Godard, lors d'une interview, a dit de son film qu'il est comme un livre, on voudrait dire si seulement! Tant sont nombreux et intrigants les aphorismes qui ont effleuré nos oreilles pendant la projection et qui nous questionnent: ""miettes"" d'écrivains, de philosophes que le réalisateur savoure. Mais le film est aussi - disons même d'abord - musique, tant celle-ci occupe une grande place dans l'œuvre. Tantôt discrète, tantôt émouvante ou déchirante, tantôt dissonante, la musique fait sens et éclaire souvent le propos. Les extraits de Sibelius, Kurtag, Pärt, Komitas, Tchaïkovski, etc. participent de façon significative à l'œuvre.

Par exemple, que serait la séquence de l'enfer sans musique? De l'art abstrait. Des images d'une superbe beauté qui rejoindraient le flot d'images de catastrophes que nous déversent déjà les médias chaque jour. La musique du piano, à ce moment-là, avec ses accords mineurs, graves, apporte émotion et profondeur. L'image devient tragique. Ces corps charriés par des bulldozers, ces visages ravagés par la mort, on ne peut plus crier l'horreur, la musique dit la souffrance, la déréliction, et par là-même sublime le chaos qui peu à peu devient Beauté.

Puis le purgatoire qui met en images l'inaltérable questionnement de son auteur sur le pourquoi et le comment de la culture: démarche existentielle pour un intellectuel. Sarajevo, métaphore de cette quête de sens, de ce regard sur le passé, sur le présent qui numérote les pierres des monuments détruits pour pouvoir reconstruire demain. Ville en chantier où le cinéaste fait arrêt sur images, aiguise le regard de ses élèves. Lieu de labour de la pensée, de questionnement sur ""des imaginaires certitudes et des réelles incertitudes"", lieu d'expiation. Tous ces livres formant là aussi un tas mort: le verbe est-il vain? Quelques citations de Céline, de Levinas, etc. ponctuent la réflexion. Et Mostar avec son pont en reconstruction. Il faut des ponts entre Juifs et Palestiniens, entre les cultures, entre le cinéaste et nous. Les traductions en live vont-elles nous aider à comprendre l'enjeu pour une vie plus harmonieuse? Ici, les musiques semblent flotter, sans repère modal, parfois étranges pour nos oreilles.

Pourtant chemin inévitable pour parvenir, ou revenir à cet Eden mythique. Une oasis paisible où l'harmonie semble possible? Une rivière mêle son chant à celui d'une musique symphonique contemplative. Moment de sérénité toute relative, irréelle, surnaturelle. La jeune fille, qui s'était sacrifiée précédemment, croise un homme. Il lui tend une pomme. L'histoire de l'humanité pourrait démarrer... mais autrement!

Un film à voir et à écouter. La beauté de l'image, la réflexion, le questionnement sont au rendez-vous. Parcours métaphorique d'un homme passionné par le langage cinématographique. Stylistique exigeante magnifiée par une musique non moins exigeante, mais qui établit tout de même des passerelles entre l'œuvre et nous, grâce aux références culturelles que nous retrouvons dans notre mémoire et reconnaissons. Quelques instants privilégiés, amorces pour rejoindre la pensée de Godard ou pour jouer notre partition avec lui..."

Ancien membre