Critique
"Le film réalisé par un cinéaste né au Kurdistan irakien mérite le Prix San Marco du dernier Festival de Venise. C'est un petit bijou d'indépendance et de caractère, qui n'est pas sans rappeler les œuvres d'Otar Iosseliani. Le cinéma, sous ces latitudes proche-orientales, fait décidément assaut d'imagination et d'originalité.
On est déjà dépaysé par les premières séquences: de magnifiques paysages enneigés; un village perdu d'Arménie; un vieux bonhomme tracté dans son lit, traîneau insolite, jusqu'au cimetière où il sortira sa clarinette pour accompagner des funérailles... Ce cimetière a deux visiteurs assidus, un veuf sexagénaire et une veuve encore séduisante, qui viennent faire la conversation à leur conjoint disparu.
La vie est rude, l'hiver aussi. D'aucuns regrettent le temps du communisme où électricité, soins et instruction étaient pratiquement gratuits. Musulmans, chrétiens et athées cohabitent tant bien que mal. Nina, la veuve, survit en servant dans une buvette en rase campagne qui vend des bouteilles de vodka au citron (laquelle a un goût d'amandes: ""C'est ça, l'Arménie"", dit Nina...) Le veuf espère que l'un de ses fils, expatrié à Paris, lui enverra de l'argent. Pour subsister, les plus démunis vont en ville proposer qui une armoire, qui un téléviseur, qui un uniforme périmé. De temps en temps, image récurrente, un cavalier traverse l'écran. Le veuf et la veuve s'éprennent l'un de l'autre.
Musique prenante, images superbes, acteurs époustouflants de naturel, la comédie douce-amère vous fait sourire et vous tire des larmes en même temps. L'humour est la politesse du désespoir, a dit je ne sais plus qui; Hiner Saleem, lui, déclare: ""Notre passé est triste, notre présent est catastrophique, mais heureusement nous n'avons pas d'avenir. Par bonheur, la débrouillardise et l'appétit de vivre des personnages évitent une conclusion aussi noire que celle d'OSAMA, en Afghanistan presque voisin."
Daniel Grivel
