Route 181

Affiche Route 181
Réalisé par Eyal Sivan, Michel Khleifi
Pays de production France, Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne
Année 2003
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Momento !
Acteurs Jennifer Peedom
N° cinéfeuilles 472
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Tourné par deux réalisateurs que tout pourrait opposer - Michel Khleifi est palestinien et Eyal Sivan israélien - ROUTE 181 est construit comme un document qui s'efforce de donner la priorité à l'humain sur l'idéologie.

Le film fait référence à la résolution 181 des Nations Unies (de novembre 1947) par laquelle la Palestine avait été partagée en trois: les Juifs d'un côté, les Arabes de l'autre, une zone centrale restant internationalisée. Les deux cinéastes ont choisi l'option de suivre les frontières fictives - qui n'ont jamais existé - de cette partition datant de 1947. ROUTE 181 (découpé en trois films de 90 min., ""Vers le Sud"", ""Le Centre"" et ""Vers le Nord"", chaque chapitre pouvant se voir indépendamment des autres) est un documentaire passionnant, aux images souvent tragiques. Un document tragique dans les nombreuses séquences qui renvoient aux frontières, aux murs, aux barbelés, aux check-points militarisés. Un road movie passionnant aussi dans les rencontres que font les cinéastes avec tous les gens qui sont obligés de vivre au quotidien séparations et affrontements. Des gens qui - les adultes en tout cas - connaissent très bien leur environnement et son histoire, et qui s'expriment souvent avec une extrême précision.

Il y a des images saisissantes: celles des rues, des quartiers détruits et déserts, celles d'une noce arabe qui a lieu malgré les interdictions et les contrôles israéliens, celles des discussions que les cinéastes tentent d'établir avec les soldats israéliens (on parle même philosophie), celles des maisons éventrées, des familles expulsées, celles de l'entretien sous bonne garde d'un jeune kamikaze palestinien avec sa famille, dans un tribunal militaire israélien. Ailleurs, c'est un Israélien qui a combattu contre les Arabes, à la fin des années 40, qui s'adonne à une exégèse très personnelle de la justice de Salomon. Là, ce sont des Juifs d'origine marocaine qui ont émigré en Israël dans les années 60 - le retour au pays s'accompagnait alors de beaucoup de promesses - et qui, aujourd'hui déçus, regrettent d'avoir quitté le Maroc... Le film est fait de ces rencontres qui paraissent le plus souvent improvisées le long de la route, où chacun des deux cinéastes, à tour de rôle, suscite le dialogue et interroge l'intimité de chacun. L'animosité est parfois vive entre Palestiniens et Israéliens, jeunes ou vieux, civils ou militaires. Michel Khleifi et Eyal Sivan n'ont pas caché la tension existante, mais n'ont pas cherché non plus les discours politiques des autorités officielles ou les images du terrorisme: ce qu'ils ont voulu montrer, c'est la vie au quotidien, avec son lot d'entraves, de vexations, de culpabilités et de larmes.

ROUTE 181 est un long voyage de plus de quatre heures (on peut n'en regarder qu'une partie!), un long road movie ponctué de moments d'émotion. Les deux cinéastes tentent de réfléchir au problème palestinien en termes de partage et non pas de séparation, plaidant clairement pour la construction d'un état binational. Leur observation est évidemment partiale, leur film se présentant comme un plaidoyer en faveur du peuple palestinien, mais le ton du discours n'a rien de militant. Face à leurs interlocuteurs des deux camps, les cinéastes se tiennent en retrait, laissant chacun s'exprimer, sans recourir au montage, sans trop orienter le débat. En ce sens ROUTE 181 permet indéniablement de mieux comprendre les raisons du conflit israélo-palestinien et de prendre conscience de toutes les difficultés qu'il y a à vouloir œuvrer dans le sens, souhaité par ses auteurs, d'une forme de coexistence. Mais la dernière image est sans équivoque: la voiture des deux cinéastes doit s'arrêter devant une nouvelle barrière frontalière..."

Antoine Rochat