Soy Cuba

Affiche Soy Cuba
Réalisé par Mikhail Kalatozov
Pays de production Cuba
Année 1964
Durée
Musique Carlos Farinas
Genre Drame
Distributeur MK2 Diffusion
Acteurs Luz Maria Collazo, José Gallardo, Raul Garcia (3)
N° cinéfeuilles 470
Bande annonce (Allociné)

Critique

"Beau film et douloureux, SOY CUBA rappelle ce que le cinéma peut être quand le seul bénéfice escompté est celui du ""message reçu"".

Cuba, à la fin des années 50, est gouvernée par le président Batista, un dictateur corrompu et impitoyable. La misère qui écrase le peuple est terrible. Si bien que le fils d'un riche planteur va entraîner les étudiants de l'Université de La Havane à fomenter la Révolution. Ce meneur s'appelle Fidel Castro, il chassera Batista et prendra la pouvoir en 1959. Un an plus tôt, Mikhail Kalatozov reçoit la Palme d'Or à Cannes pour QUAND PASSENT LES CIGOGNES. Pareillement auréolé, il intéresse le directeur du cinéma à Cuba qui va coproduire SOY CUBA avec l'Union soviétique. Ce sera l'une des premières initiatives culturelles du gouvernement de Castro.

Le film s'ouvre sur les complexes hôteliers luxueux de la capitale, où séjournent quelques Etasuniens riches et désœuvrés. Ils sont une mine d'or pour les jeunes Cubaines à qui la prostitution permet de faire vivre des familles. Maria (Luz Maria Collazo) est l'une d'elles. L'homme qu'elle rencontre la suit chez elle et entraîne le public à la découverte des bidonvilles. ""Je suis Cuba, dit une voix off. Je suis les casinos, les bars, les palaces. Je suis aussi les mendiants et la misère."" Cette misère se confirme par le récit de faits divers successifs, Pedro qui perd tout parce que la terre qu'il loue est vendue à son insu. Mariano qui voit son petit garçon tué et sa maison détruite par les soldats de Batista à la recherche de rebelles. Il devient rebelle à son tour et c'est le troisième glissement du film, vers les prémices de la rébellion, cette fois.

Film en trois temps, le luxe, la misère, la révolution, SOY CUBA est un parti pris sans appel, celui de la nécessaire opposition au régime fasciste de Batista. Ce que l'on sait de Cuba aujourd'hui oblige à plus de nuances. A l'époque, Castro avait l'avenir politique devant lui et Batista était réellement un dictateur à renverser. Kalatozov filme les événements avec un recul baigné de lyrisme et de théâtralité. Les effets techniques d'alors (contre-plongées, contre-jour, utilisation de filtres) savent jouer avec les valeurs pour stimuler le regard. Le noir et blanc est le tenant d'une dramaturgie qui ne faiblit pas: le ciel est presque noir, les gros plans d'agave, presque blancs. La musique parle, prévient, tandis que les dialogues sont réduits au strict minimum. La voix off de femme scande avec mélancolie ""je suis Cuba..."" et donne son rythme au film.

Belle leçon de cinéma, assurément, qui ramène aux grands moments du noir et blanc, le CITIZEN KANE d'Orson Welles par exemple, dont le style épique et la forme baroque fraternisent avec l'œuvre de Kalatozov. Elle donne la mesure de ce que l'image a perdu en systématisant la couleur, qu'elle soit cinématographique ou photographique. Quant à la douloureuse histoire de SOY CUBA, elle fait partie d'un tout autre registre que celui devenu si commun des émotions. Kalatozov a beau faire œuvre de propagande, il donne le poids de la souffrance par l'acuité de son regard et la façon dont il tourne autour de la réalité par la fiction. On pourrait presque parler d'économie des moyens tant il exploite jusqu'au bout chacun de ses effets techniques, au service de sa cause."

Geneviève Praplan