Critique
"Voyage passionnant dans l'Italie des quatre dernières décennies, NOS MEILLEURES ANNEES n'est pas un film comme les autres. D'abord par sa longueur inhabituelle (2 x 3 h de projection), ensuite par l'ampleur du sujet et le souffle épique qui l'anime (40 ans de la vie d'une famille italienne), et enfin - et surtout - par la qualité cinématographique assez rare d'un récit riche, subtil et plein d'émotion. Marco Tullio Giordana nous donne ici la preuve de son grand talent.
Impossible de résumer le film ou de raconter les destinées de tous les membres de la famille Carati qui, de Turin à Palerme en passant par Venise, Milan et Rome, vont sillonner la péninsule. Le récit tourne autour des deux frères, Nicola (Luigi Lo Cascio) et Matteo (Alessio Boni). Au début ils partagent les mêmes rêves, les mêmes espoirs, les mêmes lectures et les mêmes amitiés. Jusqu'au jour où la rencontre avec Giorgia (Jasmine Trinca), une jeune fille souffrant de troubles psychiques, détermine le destin de chacun. Nicola décide de devenir psychiatre, Matteo abandonne ses études et entre dans la police.
A côté d'eux, il y a leur père Angelo (Andrea Tidona), affectueux et exubérant, et leur mère Adriana (Adriana Asti), professeur moderne et irréprochable. Il y a encore Giovanna (Lidia Vitale), la fille aînée, entrée très jeune dans la magistrature, et aussi Francesca (Valentina Carnelutti), la cadette, qui épousera Carlo, le meilleur ami de Nicola, un juriste qui deviendra (il travaille à la Banque d'Italie) une cible possible pour les Brigades rouges durant les années de plomb.
Voilà pour la famille. Si l'on y ajoute Giulia (Sonia Bergamasco), la grande histoire d'amour de Nicola, et Mirella (Maya Sansa), rencontrée en Sicile par Matteo, on a le noyau central de tous les personnages qui vont vivre plusieurs événements importants de leur pays, de l'inondation de Florence en 1966 à la lutte contre la mafia en Sicile, du temps des grandes utopies et des mouvements estudiantins aux attentats terroristes, de la crise des années 1990 aux tentatives de construire un pays résolument moderne.
Une structure toute de subtilité et de rigueur fait de NOS MEILLEURES ANNEES une grande réussite. Les trajectoires existentielles vont se croiser, tous les personnages vont grandir, en cherchant à conserver leurs illusions et leurs passions. Les uns réussiront, les autres seront blessés par la vie, mais ils retrouveront presque toujours l'énergie de repartir, de continuer, de ne jamais se résigner.
NOS MEILLEURES ANNEES n'est pas un film historique, mais un film de fiction qui traverse l'Histoire, sans trop recourir à des séquences de ""reconstitution"". Tout au plus reconnaît-on, ici ou là, quelques images d'archives, à peine entend-on quelques informations radiophoniques (de l'époque) sur les attentats terroristes ou les meurtres de la mafia. Giordana ne cherche d'ailleurs pas à mettre en évidence le pourquoi de tous les événements, se limitant à les observer et à susciter une réflexion, puis à la nourrir au fur et à mesure de l'avance du récit.
Cette immense fresque romanesque se lit au travers de personnages attachants, complexes, souvent en crise, qui essaient de faire coïncider leurs comportements avec leurs convictions, mais le film n'a pas l'ambition d'expliquer les raisons de leurs gestes, de leurs décisions. Passant d'un lieu à un autre, d'un individu à un autre, il donne même parfois l'impression d'abandonner tel ou tel personnage en cours de route, mais c'est pour mieux le retrouver un peu plus tard.
Avec NOS MEILLEURES ANNEES, Giordana nous emmène finalement bien au-delà d'une simple histoire de famille, bien plus loin que les frontières de l'Italie, vers une réflexion plus universelle. Le film, d'une grande richesse, aborde beaucoup de sujets, sans volonté didactique et sans manichéisme. Situations, personnages, dialogues, décors, tout sonne juste. Radiographie sensible d'une époque, le film de Giordana est fait de respect, de rigueur et d'élégance. D'ironie et de nostalgie aussi. Une œuvre importante, un intérêt qui ne faiblit pas, et un plaisir rare.
(Cf. également CF n. 460/1, p. 36.)"
Antoine Rochat