Mission en enfer

Affiche Mission en enfer
Pays de production
Genre
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 10 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 468

Critique

"Une nouvelle page noire s'ouvre dans le passé de la Suisse. Rentrés du front russe de la Seconde Guerre mondiale, les secouristes suisses ont dû se taire. Ils parlent enfin, dans le beau film de Frédéric Gonseth.

Ils étaient jeunes, enthousiastes, médecins, infirmiers, ils aimaient leur métier et l'Europe était en guerre. Ils ont été plus de deux cents à partir sur le front russe pour soigner les blessés, entre 1941 et 1943. Les quatre missions successives étaient placées sous l'égide de la Croix-Rouge. La neutralité était la clé de leur action humanitaire, ils devaient soigner sans s'interroger sur la nationalité du blessé.

Mais peu à peu, ils constatent que leurs seuls patients sont des Allemands. Aucun soutien, si dérisoire fut-il, ne peut être accordé aux prisonniers russes qui avancent en colonne, affamés, épuisés, dans une saleté épouvantable. Ils réalisent que ces ""sous-hommes"" bolcheviques font l'objet d'un plan d'extermination (deux millions d'entre eux sont morts), tout comme les Juifs que d'autres secouristes suisses découvrent dans le ghetto de Varsovie.

Ces soignants tiennent presque tous un carnet de bord où ils notent les faits quotidiens. Pourtant, rentrés chez eux, ils ne témoignent pas. Ils ont reçu la consigne de se taire et la respectent. Beaucoup ont le sentiment d'avoir été ""vendus"". Pire, comme leur mission était pour le moins ambiguë, ils sont parfois traités de collaborateurs des nazis. Ni leur famille, ni le gouvernement fédéral (Marcel Pilet-Golaz est en charge des affaires étrangères), ni la Croix-Rouge ne cherchent à en savoir plus. Ceux qui, comme le Dr Rudolf Bucher, se risquent à organiser des conférences avec photos à l'appui, sont accusés de calomnie. Mais aujourd'hui, on admet que leurs missions, financées par les banques et les industries qui commerçaient avec l'Allemagne, ont été une entorse à la neutralité suisse.

Frédéric Gonseth est le premier à tendre un micro à ces anciens secouristes, il le fait avec une profonde compréhension. Ces hommes et ces femmes évoquent le poids qu'ils traînent depuis soixante ans. ""Je n'ai pas fait mon devoir d'homme"", confie l'un d'eux qui n'a pas osé soutenir ce prisonnier russe effondré dans la boue. Celui-là ne peut réprimer un sanglot en opposant à l'indicible souffrance de là-bas, l'égocentrisme de la population suisse. Les visages sont voilés par le souvenir. Ils ont eu peur, ils ont voulu ""avoir la paix"". Aurions-nous fait mieux?

Ce beau documentaire met en gros plan les regards marqués par la mémoire. Des images d'archives, dont certaines en couleurs, des paysages de l'est en version contemporaine les complètent. Des témoignages de prisonniers russes rescapés les confirment, appuyés par celui de l'historien allemand Christian Streit. Certains plans sont terribles. Pour Frédéric Gonseth, ""la narration doit faire apparaître le besoin de voir certaines images dont l'horreur est libératrice. C'est la force du cinéma documentaire que de faire revivre des fantômes et des mondes disparus; mais si on en abuse, la potion magique se transforme vite en poison"".

MISSION EN ENFER offre un dosage et est assez subtil pour qu'on ait envie de voir et de savoir."

Geneviève Praplan