Temps du loup (Le)

Affiche Temps du loup (Le)
Réalisé par Michael Haneke
Pays de production
Année 2003
Durée
Genre
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 16 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 460

Critique

"Avec Michael Haneke on sait toujours où l'on va. C'est-à-dire vers la violence sèche et quasi chirurgicale, vers le pessimisme le plus foncier. A peine arrive-t-il dans sa maison de campagne qu'un père de famille est abattu par des étrangers squattant la résidence. Sa femme Anne s'enfuit avec les deux enfants. Elle rejoindra une gare perdue en rase campagne où s'entassent déjà des dizaines d'égarés contraints de vivre ensemble dans une pénible promiscuité. D'où viennent-ils tous? Que se passe-t-il? Aucun renseignement précis n'est donné. Possible parabole, étrange et dérangeante, sur la société d'aujourd'hui et son organisation - avec sa violence, ses conflits, ses exodes de réfugiés -, LE TEMPS DU LOUP n'est pas dénué d'intérêt, mais la systématique dans le drame et la catastrophe a tôt fait de balayer la curiosité du spectateur.


Depuis de longues années Haneke reste fidèle à sa démarche: dresser un tableau critique et désabusé de notre monde, avec des moyens narratifs très simples et en partant de situations hors du commun présentées comme si elles étaient quotidiennes et banales. Le cinéaste empêche ainsi le spectateur de s'égarer dans les images (qui n'ont rien de divertissant) ou dans une intrigue qui lui permettrait une rapide et banale identification à tel ou tel protagoniste.




Antoine Rochat






Parfaitement cohérente, la démarche de Michael Haneke, et hautement méritoire, puisqu'elle s'inscrit dans une rigueur créatrice qui combat les sensibleries spectaculaires des films-catastrophes. Mais cette exigence exemplaire génère un film dont le relief trop mou et le climat trop désespéré risquent bien de décourager.


Construit sur un modèle proche des tragédies antiques, LE TEMPS DU LOUP déploie quatre grands tableaux qui s'étirent comme d'amples fresques sombres. Seules les premières images renvoient à un monde où le bonheur était une notion connue: une famille arrive dans sa résidence de vacances, en pleine forêt. Les enfants déchargent les provisions de la voiture. Puis commence le cauchemar. Des inconnus occupent les lieux, braquent et tuent. Suit le long exode d'une mère (Isabelle Huppert) et de ses deux enfants. Nuit et brouillard. Plus tard les rencontres s'enchaîneront, en cascades.


S'inspirant d'un poème germanique très ancien, le Codex Regius, Haneke décrit un temps qui précède ""Ragnarök"", la fin du monde. Il pose la seule question qui lui paraisse productive: ""Si la catastrophe survenait, quel serait mon comportement, celui de mon voisin?"" Autrement dit: jusqu'où ces valeurs dont on dit qu'elles fondent notre civilisation tiendraient-elles le coup? Que deviendraient les relations à l'autre, à mon enfant, à moi-même?


L'intérêt majeur du film réside dans son a priori formel: décrire en évacuant toute espèce de sensationnel, tout élément qui éloignerait le spectateur d'un univers strictement conforme à son quotidien habituel. Haneke: ""Tout ce qui dépasse l'expérience du public incite rapidement à considérer l'histoire comme un simple spectacle et à s'en distancer. Le moyen le plus sûr d'éviter cela: la précision"".


Sur ce plan, la réussite est totale: la restitution des ambiances donne la chair de poule, le sentiment du mal-être envahit l'âme alors que le cataclysme - toujours en arrière-plan, aucunement abordé - a profondément imprégné le tissu filmique et l'épiderme du spectateur. C'est la magie d'un quotidien revisité avec une grande maîtrise esthétique, la mise en scène juxtaposant brillamment de talentueux comédiens et trois enfants pour la première fois à l'écran.


A noter la force humaine et symbolique des dernières séquences. Celles-ci donnent corps à un final cinématographique dont l'interrogation, prodigieuse d'intensité, résonne jusque dans les entrailles. Sacrifice d'Abraham des temps modernes, il met face à face deux générations: l'espace d'une prodigieuse minute, au-delà des drames vécus, au-delà de l'effroi et des infamies, l'adulte - miracle de quelques mots dits à l'enfant - offre et obtient à la fois le salut.


Pourtant, LE TEMPS DU LOUP aura sans doute lassé bien avant, à force d'être rigoureux dans sa forme et exigeant à l'égard de son public. Les sujets sous-jacents - éclatement de la famille, émergence des folies, prise de pouvoir des bas instincts sur les nobles aspirations - ne sont pas suffisamment modelés pour faire rebondir l'intérêt. Et le pessimisme du propos finit par refroidir les plus optimistes.




Jacques Michel






Michael Haneke:


Scénariste, réalisateur et homme de théâtre autrichien, Michael Haneke est né à Munich en 1942. Après avoir étudié philosophie, psychologie et théâtre à Vienne, il travaille, entre 1967 et 1970 pour la télévision allemande. Depuis 1970, il réalise en indépendant plusieurs long métrages dont LE SEPTIEME CONTINENT (1989), FUNNY GAMES (1997), CODE INCONNU (2000) et LA PIANISTE qui obtient en 2001 le Grand Prix du Jury de Cannes et les Prix d'interprétation féminine (Isabelle Huppert) et masculine (Benoît Magimel)."

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