Depuis qu'Otar est parti

Affiche Depuis qu'Otar est parti
Réalisé par Julie Bertuccelli
Pays de production France, Belgique, Géorgie
Année 2002
Durée
Genre Comédie dramatique
Distributeur Haut et Court
Acteurs Esther Gorintin, Dinara Droukarova, Nino Khomasuridze, Temur Kalandadze, Rusudan Bolqvadze
Age légal 10 ans
Age suggéré 14 ans
N° cinéfeuilles 460
Bande annonce (Allociné)

Critique

A Tbilissi, capitale délabrée de la Géorgie post-soviétique, vivent ensemble, ou plutôt survivent, Ada, une jeune fille de 25 ans, sa mère Marina, dont le mari a été tué en Afghanistan, et sa grand-mère Eka, qui garde la nostalgie d'une France qu'elle a connue autrefois. Entre elles la vie quotidienne n'est pas toujours facile à négocier. Seules les nouvelles d'Otar, le fils adoré d'Eka, sont comme des bouffées de rêve et d'espoir. A la recherche d'un ailleurs possible, Otar vient d'émigrer à Paris. Comme tous les absents, il est devenu un mythe dans la maison. Et le jour où il meurt accidentellement, Marina, avec la complicité de sa fille, ne peut se résoudre à annoncer la nouvelle à la vieille et fragile Eka. Le temps du mensonge s'installe alors dans la maison.

Toute la force et l'émotion que dégage cette œuvre tiennent à la manière avec laquelle la réalisatrice dresse le portrait délicat de trois générations unies par un mensonge de circonstance. Les personnages, tous perçus dans leur fragilité, sont empreints de beaucoup de tendresse. L'évolution des sentiments et du tissu des relations familiales est analysée avec infiniment de finesse. Porté par un remarquable trio d'actrices, au sein desquelles on n'oubliera plus le visage si expressif de la grand-mère, ce film, qui traite aussi de la tragique réalité économique de la Géorgie d'aujourd'hui ainsi que de la fascination pour l'étranger, se savoure avec mélancolie et tendresse.

Georges Blanc


Prix de la Semaine de la Critique à Cannes, en mai dernier, DEPUIS QU'OTAR EST PARTI... est un film qui va à contre-courant de la mode, du bavardage inutile et du spectacle accrocheur. Un excellent long métrage - premier film de la cinéaste Julie Bertucelli - qui s'accompagne de beaucoup d'émotion.

On est à Tbilissi, capitale délabrée d'une Georgie à peine sortie de l'ère soviétique. Dans un vieil appartement vivent tant bien que mal trois femmes: Eka, la grand-mère (90 ans), sa fille Marina (qui a perdu son mari lors de la guerre en Afghanistan) et sa petite-fille Ada (25 ans). Leur existence commune est faite de menus plaisirs et de multiples agacements. L'humeur n'est pas toujours au beau fixe. Une caméra discrète nous décrit tout cela avec une grande économie de moyens et beaucoup de sensibilité.

Il y a un quatrième personnage dans le film, Otar, qu'on ne verra jamais. Otar c'est le fils bien-aimé, parti chercher du travail à Paris, et dont Eka attend toujours avec impatience lettres et coups de téléphone. Un jour, Marina apprend que son frère s'est tué sur un chantier. Sentant sa mère trop fragile, elle décide alors, avec la complicité de sa fille Ada, de cacher la vérité à sa mère. Toutes deux vont dès lors accompagner ce mensonge d'une série de fausses lettres et de faux coups de téléphone.

Un tel scénario aurait pu donner naissance à une comédie d'un goût douteux. Julie Bertuccelli en a fait au contraire un beau film, doux-amer - il ne se dit que peu de choses, mais les regards et les gestes sont lourds de sens -, une œuvre toute chargée d'émotion.

Marina et sa fille vont donc inventer une suite à l'existence d'Otar. Ada, chargée de rédiger les missives, sera amenée à imaginer la vie du défunt et à la raconter. Un travail d'invention qui l'incitera aussi à réfléchir sur son avenir à elle. Ses mensonges auront ainsi, sans qu'elle l'ait vraiment voulu, des incidences sur sa propre vie, l'illusion qu'elle aura entretenue chez sa grand-mère lui ouvrant de nouvelles perspectives. En allant plus loin on pourrait même se demander si ce n'était pas là le souhait secret de la grand-mère elle-même... Comme on pourrait aussi penser que les portraits des trois femmes ne constituent, en fin de compte, que les images d'une seule et même femme, à trois moments de l'existence. Beaucoup d'autres questions peuvent se poser dans ce film délicat et réussi, porteur de ce souffle d'étrangeté et de mystère qui fait très souvent défaut dans la production actuelle.

DEPUIS QU'OTAR EST PARTI..., c'est l'image d'une lente transformation - par une sorte de contamination - de trois femmes qui, par la pratique du mensonge, vont se trouver peu à peu obligées de modifier leur comportement et de définir différemment leur existence.

Julie Bertuccelli vient du cinéma documentaire et son premier long métrage est tout imprégné de cette façon d'appréhender le réel: en deçà - ou à côté - de la fiction il y a une observation très fine des gens, des lieux, des quartiers d'une ville qui porte des traces de décrépitude: coupures d'eau, pannes d'électricité, files d'attente aux guichets, difficultés économiques, fragilité et pauvreté apparentes des habitants de Tbilissi, tout cela est clairement montré. Le passé du pays est encore bien visible, derrière un présent qui se cherche, à l'instar des trois héroïnes: Eka est une nostalgique de l'ex-URSS (et de la culture française), Marina, ingénieure sans travail, fait de la brocante pour survivre, tandis qu'Ada est attirée par l'Occident...

DEPUIS QU'OTAR EST PARTI... est un film intimiste et plein de tendresse, soutenu par une (triple) interprétation féminine absolument remarquable. Un film sur la vérité et le mensonge, ou plutôt sur les accommodements qui se révèlent souvent nécessaires lorsqu'il s'agit de trouver un moyen de survivre. Sans doute y a-t-il bien d'autres lectures possibles, en particulier celle, politique, qui évoque les difficultés de l'existence après l'éclatement de l'URSS.

Antoine Rochat

Antoine Rochat

Appréciations

Nom Notes
Georges Blanc 18
Ancien membre 18
Geneviève Praplan 18
Antoine Rochat 17