Lilya 4-ever

Affiche Lilya 4-ever
Réalisé par Lukas Moodysson
Pays de production
Genre
Acteurs Jennifer Peedom
N° cinéfeuilles 457

Critique

"Si un film doit intéresser les adolescents, c'est bien celui-ci. Regard généreux, réalité bouleversante, ce long métrage suédois est un petit bijou.

Oh le sourire de Lilya et sa fossette qui se creuse de plaisir! La jeune fille va quitter cette sinistre banlieue de l'ex-Union soviétique, alignement de bâtiments sans âme, décor de pluie et de boue dont tout sens esthétique est définitivement banni. Sa mère a un nouvel ami. Il est russe mais vit et travaille aux Etats-Unis où toute la famille va s'installer. Pourtant, la veille du départ, Lilya apprend qu'elle devra d'abord patienter quelques jours et rejoindre sa mère une fois que celle-ci sera installée. Le temps passe, sans nouvelles. Elle comprend peu à peu qu'elle a été abandonnée.

A 16 ans, elle va devoir prendre la vie à bras le corps, sans argent, sans autre parent qu'une tante qui la fait déménager dans un appartement sordide. Lilya n'a avec elle que Volodya, un jeune garçon de 11 ans que son père chasse de chez lui à tout propos. Les deux adolescents, salement lâchés par leur famille, tentent de se rendre la vie plus facile. Jusqu'au soir où Lilya rencontre Andreï. Les voilà amoureux, elle va aller vivre avec lui en Suède et promet à Volodya qu'elle lui trouvera du travail et le fera venir à son tour.

Avec FUCKING AMAL, puis TOGETHER, Lukas Moodysson avait prouvé la délicatesse de son regard sur les êtres humains. Ses films lui ont d'ailleurs valu des récompenses et des candidatures aux prix internationaux. Les grands distributeurs s'intéressent à sa production, sans pour autant qu'il renonce à son indépendance et à son originalité. Avec LILYA 4-EVER, sélectionné pour le dernier Festival de Venise, il signe son troisième long métrage, une œuvre toute différente des précédentes.

Le tournage a eu lieu dans un quartier abandonné de la région de Tallin, en Estonie, autrefois base militaire soviétique. Lukas Moodysson a cherché pendant plusieurs mois ses acteurs, pour arrêter son choix sur deux comédiens éblouissants de vérité, Oksana Akinshina, de Saint-Petersbourg, pour Lilya et Artiom Bogucharskij, de Moscou, pour Volodya. Le propos du cinéaste était de montrer la misère d'un pays destructuré, dont la population, livrée à elle-même, ne rêve que de partir là où tout le monde est forcément riche et heureux. ""Nous vivons dans une société où nous pouvons tout acheter. Nous pouvons acheter les êtres humains, leur travail ou leur corps. Je ne blâme pas les pays pauvres, mais les riches qui les exploitent.""

C'est vrai. On ne parvient à en vouloir ni à la mère de Lilya, ni à sa tante, non plus qu'aux parents de Volodya, tant est flagrant le désarroi dans lequel ils végètent. C'est un milieu qui sue le désespoir et le fatalisme, un milieu qui n'a pour seul printemps que l'amitié des deux adolescents. Leur résistance est un acte d'héroïsme reconduit heure après heure, dans l'indifférence générale. Une fois en Suède, Lilya se retrouve dans la société ""qui peut tout acheter"" et son sourire y perd toute raison d'être, tandis que Volodya n'a plus personne auprès de qui se réchauffer.

Lukas Moodysson raconte le tragique de la banalité, sans pathos, sans sucre d'orge. Il ne fait pas pleurer dans les chaumières parce qu'il puise ailleurs que dans le fond de commerce de l'émotion facile. C'est à la profondeur des sentiments qu'il fait appel, au creux de l'empathie, là où réflexion et remise en question se rejoignent. Il montre. Son film est cruel, superbe, indispensable."

Geneviève Praplan