Critique
"De bons dialogues, d'excellents acteurs, pas de provocation... mais en même temps un film - sur l'amitié, le sens de la responsabilité et de la vie - qui manque d'un véritable point de vue. On attendait peut-être trop du dernier film de Spike Lee...
Spike Lee est un réalisateur-producteur éclectique: il y a chez lui un côté militant (DO THE RIGHT THING, MALCOLM X), un talent d'observateur évident (MO'BETTER BLUES, JUNGLE FEVER) et toutes les qualités d'un subtil narrateur (GET ON THE BUS). LA 25e HEURE appartient à cette troisième catégorie: l'histoire de Monty Brogan (Edward Norton) est de celles que l'on suit avec plaisir, d'abord parce que les acteurs sont remarquables, et ensuite parce que Spike Lee a le sens du rythme, une bonne maîtrise des images et assez de métier pour entretenir le suspense jusqu'au bout.
Monty, ex-caïd et trafiquant d'héroïne de Manhattan, a été pincé par la police. Il en a pris pour sept ans. Il ne lui reste qu'une journée pour dire adieu à sa vie de fastes et de plaisirs, et pour prendre congé de son père James (Brian Cox), de Naturelle, sa petite amie en qui il n'a plus toute confiance (Rosario Dawson), et de ses deux copains, l'enseignant Jakob (Philip Seymour Hoffman) et l'agent de change Francis (Barry Pepper). Beaucoup de gens à voir, beaucoup de choses à faire en 24 heures...
L'idée de Spike Lee était sans doute de proposer le portrait d'un homme qui, dans une sorte de compte à rebours, tente de faire le point sur son existence avant de se retrouver exclu du monde. Une idée intéressante, mais un film qui déçoit. Monty est un dealer dont on ne connaît pas suffisamment les antécédents, un homme aux multiples visages dont on ne dit pas clairement quels crimes il a commis. Tout au plus y a-t-il quelques allusions à une mafia caricaturale, mais c'est peu explicite. Tant est si bien que, de son statut d'homme dangereux et crapuleux, le personnage en deviendrait presque sympathique. Malgré quelques moments de révolte - un long et étonnant monologue agressif devant un miroir, histoire d'accuser en passant toutes les communautés étrangères installées à Brooklyn et Manhattan et tous les New-Yorkais avant de s'en prendre... à lui-même - Monty garde un côté attachant et gentil. Le film cultive ainsi une forme d'ambiguïté, renforcée encore par le fait que les autres personnages (père et amis) apparaissent aussi englués dans une forme de complicité latente. La nature humaine est complexe, et les responsabilités sont diffuses, semble vouloir dire Spike Lee. On en prend donc acte.
LA 25e HEURE est un film aux qualités d'écriture indéniables, sans trop de concessions au cinéma américain courant. Un film en coups de poings (au propre comme au figuré), sans coups de feu (pour une fois!), mais finalement frustrant. On a peine à croire en effet que Monty ait attendu la 25e heure - celle qui précède son incarcération - pour ressasser tous ses problèmes existentiels et se découvrir (enfin) un sens des responsabilités. Cela d'autant plus que ses deux amis (Jakob et Francis) en profitent aussi pour se mettre sérieusement à gamberger et à évoquer des problèmes personnels dont on se passerait volontiers.
Reste une atmosphère mélancolique assez particulière. En toile de fond, le New York de l'après-11 septembre et plusieurs plans sur le ""Ground Zero"". Un décor qui n'est pas un hasard et une mélancolie qui rejoint celle des protagonistes."
Antoine Rochat