Enfin pris?

Affiche Enfin pris?
Réalisé par Pierre Carles
Pays de production France
Année 2001
Durée
Genre Documentaire
Distributeur Cara M.
Acteurs Jennifer Peedom
Age légal 10 ans
Age suggéré 16 ans
N° cinéfeuilles 449
Bande annonce (Allociné)

Critique

La TV est-elle capable d'entendre la critique? Non, répond Pierre Carles. La machine médiatique est sourde, et toute parole discordante neutralisée.

Vous vous intéressez au (dys)fonctionnement de la télévision? Il vous arrive de temps en temps de regarder l'émission de TV5 Arrêt sur images? Alors courez voir le dernier film de Pierre Carles, déjà auteur de deux autres documentaires sur le monde télévisuel français.

ENFIN PRIS? se présente comme une enquête sur la trajectoire professionnelle de Daniel Schneidermann, ancien critique TV devenu animateur de l'émission Arrêt sur images, diffusée chaque dimanche sur la Cinquième. Pierre Carles joue le rôle du journaliste justicier chargé de démontrer que Schneidermann a tourné sa veste en cours de carrière et trahi ses anciennes convictions profondes de journaliste (il signait en effet dans les colonnes du Monde, à la fin des années 80, des critiques virulentes consacrées à la télévision). Et comme preuves du revirement d'attitude de ce journaliste, Carles a rassemblé de nombreux documents et fragments d'émissions, en particulier celle au cours de laquelle le philosophe Pierre Bourdieu (auteur en 1995 d'un célèbre pamphlet Sur la télévision) s'était heurté à des interlocuteurs intraitables - Jean-Marie Cavada entre autres - qui n'avaient eu de cesse de l'interrompre et de l'empêcher de développer sa pensée.

Pierre Carles prend donc pour cibles les artifices et la pseudo-objectivité d'une télévision qui feint de procéder à son autocritique tout en ne reculant devant aucune forme d'hypocrisie. Il fustige en particulier Daniel Scheidermann et son émission-alibi dans laquelle tout invité qui se montre un tant soit peu critique se trouve très vite neutralisé, la parole ne lui étant jamais offerte de façon adéquate, ni dans la forme, ni dans le temps accordé. La télévision sera incapable, dit Carles, de se remettre en question tant que les esprits critiques ou les penseurs (comme Bourdieu, Halimi ou Chomsky) n'auront pas la possibilité de développer leur point de vue sans être constamment interrompus ou bousculés parce que le temps presse... Et la TV continuera à phagocyter complètement jusqu'à ses plus coriaces adversaires.

ENFIN PRIS? nous montre - et l'on en rit - un Schneidermann proche de la schizophrénie: Carles s'amuse à le mettre en contradiction avec lui-même, lui reprochant entre autres (à l'aide de documents d'archives ramassés Dieu sait où) de tenir plusieurs langages et de prétendre être libre de dire ce qu'il veut alors que les images prouvent tout le contraire.

Le film n'est pourtant pas un jeu de massacre ou un règlement de compte. Il faut savoir gré à Pierre Carles d'avoir trouvé un ton à la fois humoristique et roublard, et d'avoir adopté une démarche qui fait de son film un récit (souvent) très drôle tout en restant (parfois) très grave. ENFIN PRIS? ressemble sans doute à un patchwork (on parle de tout, de politique et de démocratie, de morale personnelle et de culture, d'éthique, de liberté d'opinion et de censure), mais le propos est intelligent et sensible. Et la dernière demi-heure est tout simplement hilarante: dans une longue séance de thérapie, le réalisateur cherche à convaincre un psychanalyste que Scheidermann est vraiment un ambitieux et un opportuniste, mais le disciple de Freud lui renvoie l'ascenseur, balayant tous ses arguments à l'aide de quelques répliques cinglantes. Le thérapeute amène son patient à s'interroger avec un peu plus d'humilité sur son propre rôle dans cette enquête, lui administrant ainsi une bonne leçon de modestie et lui rappelant les quelques règles élémentaires (et essentielles) qui régissent sa profession, la condition de l'homme et la vie de toute société...

ENFIN PRIS? est une excellente comédie, cruelle et mordante, en même temps qu'un documentaire drôle et inventif, une réflexion grinçante sur le pouvoir des médias, l'honnêteté intellectuelle et les petits travers de la nature humaine.

Antoine Rochat