Wild Wild Country de Chapman Way et MacLain Way

Le 06 juin 2020

Certains seront familiers du nom de Bhagwan Shree Rajneesh, d’autres auront peut-être entendu parler d’Osho, tandis que pour d’autres encore tout cela n’évoquera rien. Dans les trois cas, le visionnement du documentaire en six épisodes sur cet homme indien devenu demi-dieu, prophète extraordinaire, est essentiel : il faut le voir, pour le croire.

Un pan de l’histoire américaine s’offre au travers de ce documentaire produit par Netflix qui dépeint la petite ville d’Antelope, Oregon, ses quelques dizaines d’habitants qui profitent de leur maison individuelle gagnée à la sueur de leur front, et le soudain débarquement d’une gigantesque communauté spirituelle qui prévoit de s’agrandir le plus possible. Dans les années 60, le succès de Bhagwan en Inde le dépasse: la spiritualité qu’il enjoint à adopter est basée sur l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature, et il invite également à jouir d’un des plaisirs terrestres qu’est la sexualité (hors mariage). La communauté se développe, le manque de place se fait sentir. Pourquoi alors ne pas déménager en Oregon, aux États-Unis, où l’on peut créer une ville dès lors que 150 habitants sont réunis sur un territoire?

Il ne fallait pas en dire plus pour que Bhagwan fasse ses valises, accompagné de ses plus fidèles, et pour qu’il lance un chantier digne de l’édification d’une tour de Babel version eighties. C’est surtout sa secrétaire personnelle, Sheela, qui prendra en main la construction de A à Z de Rajneeshpuram, nouvel eldorado spirituel: des canalisations d’eau et de l’électricité, à l’acheminement de mobile homes, en passant par la création d’un centre commercial avec des boutiques de vêtements aux tons orangés uniquement, l’acquisition de AK-47 et d’autres armes à feu (vous avez bien lu), et d’un système de surveillance audio et vidéo digne du KGB. En direction de Big Muddy Ranch, cette zone auparavant déserte de 32’000 hectares, les allées et venues de camions de construction, puis de cars débarquant des quantités inimaginables de disciples du charismatique Osho, déplaisent fortement à la population locale.

Les témoignages des locaux ayant vu leur vie quotidienne changer drastiquement se mélangent à ceux de quelques membres en charge de cette secte, retrouvés des dizaines d’années plus tard; certains sont encore de fervents adeptes, d’autres ont eu le temps de changer d’avis lors de leur séjour en prison… À ces récits oraux s’ajoutent une quantité absolument phénoménale d’images d’archives. Tout était filmé dans la communauté de Rajneeshpuram, et ce sont plus de 10’000 cassettes et autant d’heures d’enregistrement audio qui ont été retrouvées dans la cave secrète de Sheela. L’utilisation d’images d’archives est parfois délicate dans les documentaires. En effet, ces dernières peuvent facilement être insérées pour exemplifier des propos, alors qu’elles concernent totalement autre chose à l’origine. Cela se ressent à quelques occasions dans les six épisodes d’une heure de cette série, et quelques effets spéciaux visuels censés ajouter encore un peu de vintage, comme l’esthétique «vieille cassette vidéo», sont parfois surfaits et inutiles. Mais le ton général est assez clair pour se permettre ces quelques écarts.

En ce qui concerne l’audio, le duo Chris Swanson et Brocker Way propose une bande-son du tonnerre, oscillant à la fois entre les sons hippies, psychédéliques, presque reggae parfois, et les chansons rocks, puissantes et dansantes. À la manière d’une star de rock’n’roll d’ailleurs, Bhagwan remplit des stades et invite ses foules de disciples à danser, chanter, célébrer la vie, pratiquer la méditation dynamique, rejeter l’Occident tout en participant au marché capitaliste de la communauté, et en lui versant de l’argent pour qu’il continue de faire grandir sa collection de Rolls-Royce. Pour faire grandir et pérenniser la communauté, Sheela et ses associés vont récupérer les sans domicile fixe des comtés alentours, en leur mettant autant d’étoiles dans les yeux sur leur future vie à Rajneeshpuram que de sédatifs dans leurs bières servies gratuitement dans ce petit paradis sur terre.

Les incohérences de ce système tout aussi problématique que n’importe quelle autre secte sont très bien décrites. Dès lors qu’un groupe de personnes décide de vivre selon certaines règles, plus ou moins strictes, des tensions apparaissent avec d’autres groupes, et les jolies valeurs d’harmonie, d’honnêteté et de tolérance sont mises de côté au profit de la défense de son territoire, du combat contre ceux qui pensent différemment. Comme dirait l’autre, la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Jusqu’à aujourd’hui encore, des milliers de disciples de Bhagwan - titre honorifique en japonais - vivent à travers le monde et vénèrent le défunt prophète. La Fondation internationale Osho est encore bien en vie, et a même attaqué Netflix en procès lors de la première diffusion de la série en 2018. En espérant que la censure n’exerce pas son pouvoir et que ce documentaire puisse être vu par le plus de monde possible, inchallah.

Camille Mottier

USA, 2018 - Diffusion: Netflix - Saison 1 : 6 épisodes d'env. 65'

Genre : Documentaire. Age 13. Note18