VIFFF 2022, cinéma comique en tout genre

Le 16 novembre 2022

La 8e édition du Vevey International Funny Film Festival (VIFFF), qui s’est tenue du 27 au 30 octobre, a accueilli bon nombre de rédacteurs et rédactrices de Ciné-Feuilles, réunis pour rire ensemble devant des films de tous horizons, mais également pour enregistrer trois épisodes spéciaux du podcast Au Fil du Ciné focalisés sur la programmation de la manifestation veveysane, à découvrir sur diverses plateformes en suivant le lien https://linktr.ee/CineFeuilles. Dans la foulée, quatre plumes se sont alliées pour proposer un compte-rendu de la Compétition internationale et de quelques autres œuvres marquantes proposées dans le cadre de cette édition 2022.


Compétition internationale


Le festival s’est ouvert avec Emergency (Carey Williams, USA, 2022), une relecture politisée de la traditionnelle college comedy à l’américaine: Sean et Kunle, deux étudiants afro-américains, veulent marquer l’histoire de leur université en se rendant à toutes les soirées organisées le même soir par différentes fraternités. Tout bascule lorsque les deux colocataires tombent sur une jeune fille blanche en plein coma éthylique au milieu de leur salon. Alors que tout devrait les pousser à appeler la police, ils craignent que leur couleur de peau leur vaille d’être accusés à tort, et décident tant bien que mal de porter secours eux-mêmes à la victime. Le film mobilise tous les poncifs des films dont il s’inspire, comme Superbad de Greg Mottola (2007), mais parvient avec intelligence à les mettre au service d’un propos social nuancé et d’une dénonciation des violences policières aux États-Unis, tout en s’appuyant sur un comique de situation maîtrisé.


Issu de son court métrage précédent (intitulé Grand Paris Express), Grand Paris (France, 2022) est le premier long de Martin Jauvat. De son MacGuffin initial (élément de prétexte au développement d’un récit, ici la réception d’un colis qui ne sera jamais livré) à son final surréaliste, le film ne cesse d’étonner et de toucher. Rien de plus logique donc, dans cet univers où l’attente (et l’ennui qui va avec) est un mode de vie, que la découverte d’un étrange artefact donne lieu à une aventure imprévue. Empreint d’absurde que ne renierait pas Quentin Dupieux, Grand Paris est une errance poétique et fantastique dans cette région nommée la Grande Couronne parisienne. Un vent de fraîcheur qui offre un point de vue revigorant sur les zones périurbaines de la capitale française.


S’il fallait convaincre que comédie et poésie peuvent faire très bon ménage, 6 Días en Barcelona (Espagne, 2021) constituerait une preuve idéale. Dans un style proche du documentaire, le film de la réalisatrice et scénariste catalane Neus Ballús suit pendant six jours le quotidien de Moha, un jeune plombier et électricien marocain immigré à Barcelone. Entre sa relation compliquée avec son collègue Valero, ses colocataires ironisant sur sa volonté d’intégration et ses pensées retranscrites en voix over, le long métrage passe d’une émotion à l’autre tout en proposant une réflexion sur l’état de notre société qui, si elle n’a jamais été autant connectée, se détache petit à petit de l’humain. Porté par des acteurs non professionnels, 6 Días en Barcelona est sans conteste l’une des petites pépites du festival (en atteste la Mention spéciale que le Jury lui a décerné): un film drôle et attachant, sans pour autant tomber dans une facilité manichéenne ou la mièvrerie.


Réalisée par Kristoffer Borgli, la comédie à la scandinave Sick Of Myself (Norvège/Suède, 2022) met en scène Thomas, un artiste contemporain en pleine ascension, et sa compagne Signe, qui souhaiterait voir les projecteurs braqués sur elle. Dans ce but, elle prend la décision d’ingérer à haute dose un médicament aux effets secondaires dévastateurs: sa peau se boursoufle, se craquelle, et son visage devient difforme. Signe utilise alors sa nouvelle apparence pour se faire une place dans le milieu de la mode, en tablant sur des agences cherchant des mannequins au physique atypique. Mais le narcissisme de la jeune femme se retourne rapidement contre elle - tout comme celui de son compagnon. Humour noir, image soignée et satire féroce d’une certaine bourgeoisie imbue d’elle-même sont à la carte de ce long métrage à la fois drôle et dérangeant, qui constituait l’une des réussites de la Compétition internationale de longs métrages.


La programmation du VIFFF laissait également place à l’émotion avec le très beau Life Is Beautiful (2022), comédie musicale sud-coréenne de Choi Kook-hee abordant tout en subtilité un sujet grave: le cancer et la peur d’avoir raté sa vie. Apprenant le diagnostic de sa maladie, Oh Se-yeon fait le pari un peu fou de retrouver son amour de jeunesse avant de mourir. C’était sans compter sur la jalousie de son mari, pourtant très absent, qui décide un peu malgré lui de la rejoindre dans son voyage. Bercé par des tubes coréens des années 1970 à 2000 rythmant des séquences colorées et kitschissimes qui en rebuteront certains mais en enchanteront d’autres, le film, bien que très triste, ne fait pas dans le mélodramatique et n’oublie pas de ménager des moments de comédie bienvenus. Lauréat du Prix du Public, Life Is Beautiful nous rappelle qu’idéaliser le passé et fantasmer sa vie n’est jamais une solution. À la fois déchirante et entraînante, cette réalisation remplit totalement son cahier des charges.


Adaptation d’une pièce de théâtre de Catherine Léger, Babysitter (Monia Chokri, Canada, 2022) raconte la remise en question de Cédric, qui, après avoir fait une blague sexiste aux dépens d’une animatrice de télévision, est suspendu par son employeur, alors que sa femme Nadine est en pleine dépression post-partum. Encouragé par son frère, Cédric décide d’écrire un livre sur l’origine de sa misogynie. Sur fond d’esthétique pop maîtrisée avec brio et de trouvailles visuelles sympathiques, Monia Chokri propose une exploration plutôt originale et souvent grinçante des rapports hommes-femmes, où les différents points de vue s’entremêlent en faisant parfois des étincelles. Si la réalisatrice arrive à conserver une certaine légèreté et une vision nuancée d’un sujet sensible, cette délicatesse s’essouffle pour aboutir à une lecture un peu plus unilatérale dans ses derniers instants. L’œuvre n’en demeure pas moins très intéressante et enthousiasmante, ce qui lui a valu le Prix du Jury des jeunes.


Enfin, c’est logiquement que Viking (Canada, 2022) a remporté la Compétition internationale. Le concept de ce film québécois réalisé par Stéphane Lafleur est génial par sa simplicité et les vertiges thématiques qu’il permet d’aborder. Alors que la première mission humaine est en route vers Mars, un recrutement massif est organisé afin de trouver des profils psychologiques identiques à ceux envoyés dans l’espace. Une fois sélectionnés, ces clones psychologiques sont réunis et observés dans une expérience sociale où la campagne isolée prend des airs de base spatiale. Viking reconstitue donc littéralement un simulacre de mission spatiale, questionnant l’identité de ses personnages, la nature de leurs relations et plus généralement le sens de la réalité. Le dispositif très théâtral du film n’empêche pas quelques beaux moments oniriques et cinégéniques. Toutefois, la démonstration, si elle est convaincante et stimulante, demeure très froide, distante et cérébrale. On aurait aimé vibrer un peu plus pour ces aspirants astronautes mis sous cloche.


Courts métrages


Le VIFFF mettait également à l’honneur les formats brefs, avec un programme de 7 courts métrages internationaux intégrant tant des films d’animation que des œuvres en prises de vue réelles. Parmi les films marquants (et drôles) de cette sélection, signalons en premier lieu le court lauréat, Erratum de Giulio Callegari (France, 2021), la trajectoire désopilante d’une spécialiste de l’Antiquité mettant tout en œuvre pour élucider le mystère de la présence d’une inscription ordurière en langue française sur un site de fouilles. Le film prend le temps de construire son récit et ses personnages, et ménage même un certain suspense, tout en restant dans le registre comique. Notons également Troy de Mike Donahue (USA, 2022), suivant un couple qui se prend étrangement d’affection pour un voisin aux ébats sexuels particulièrement bruyants. Tourné presque exclusivement dans un petit appartement new-yorkais, le court métrage présente des personnages touchants et suscite le rire à partir d’une situation particulièrement triviale. Autre film marquant de cette sélection, Awkward Intimacy d'Emma Jude Harris et Emily Steck (Royaume-Uni, 2022), un faux documentaire consacré à une jeune femme extravagante exerçant le métier en vogue de coach en intimité sur les tournages. Remarquons enfin Anscht (Matthias Huber, 2022), l’unique œuvre suisse projetée dans ce cadre, un film d’animation proposant une compilation de situations irrationnelles mais universellement angoissantes, à travers la figure d’un petit garçon tour à tour laissé seul dans une file d’attente par sa mère, ne parvenant pas à quitter le remonte-pente sur lequel il se trouve, ou enfermé par erreur dans les toilettes publiques.


VIFFF Explore


Sélectionné dans la catégorie VIFFF Explore, qui réunit des œuvres au croisement du comique et d’autres catégories génériques, Finde (Nano Garay Santaló, Argentine, 2021) suit Santi et Agos, un couple qui loue une maison à la campagne pour passer un week-end hors du petit studio dans lequel ils sont confinés. À leur arrivée, les propriétaires de la demeure leur avouent ne pas avoir d’autre endroit où dormir, et leur proposent de leur servir de domestiques pendant leur séjour. Santi et Agos acceptent, mais les interactions avec leurs hôtes vont se révéler très gênantes, voire inquiétantes. Mobilisant à la fois le registre humoristique et certains codes du cinéma d’épouvante, ce huis clos efficace s’appuie sur des dialogues incisifs et sur un quatuor de comédiens et comédiennes inspirés.


Imaginez que sur internet, vous rencontrez une magnifique personne de laquelle vous vous éprenez et que derrière ce profil se cache en fait… votre père! I Love My Dad (USA, 2022) de l’Américain James Morosini présente tous les tics du film conçu pour plaire au Festival de Sundance. Un concept accrocheur, un auteur en recherche de reconnaissance et une histoire qui tourne autour de daddy issues. Mais force est de constater que ça marche, car Morosini joue habilement avec la réalisation pour traiter de la dualité entre réel et virtuel, et car ses personnages sont sincères et attachants. On se surprend donc à être profondément mal à l’aise lorsque les protagonistes doivent démaquiller leur réalité et affronter leurs mensonges.


Invitée d’honneur du festival, l’actrice, scénariste et humoriste Camille Chamoux y a présenté deux nouveaux longs métrages, dont Le Processus de paix (France, 2022). Réalisé par Ilan Kilpper et co-écrit par la comédienne, le film est une comédie somme toute assez classique, mais efficace, notamment grâce à son duo d’interprètes. Camille Chamoux et Damien Bonnard incarnent un couple dont la relation bat de l’aile, mais prêt à batailler pour éviter la séparation. À force de disputes (comparées régulièrement au conflit israélo-palestinien, d’où le titre), ils mettent en place une charte composée de dix règles pour sauver leur ménage. Ces personnages hauts en couleur, épaulés par des rôles secondaires quelque peu caricaturaux, offrent des scènes parfois convenues, mais souvent jubilatoires. Certainement pas le grand film du festival, mais sans aucun doute un bon moment de franche rigolade.


Saviez-vous qu’en 2019, l’aéroport de Genève a été menacé par un groupe terroriste anticapitaliste: le Global Liberation Front? Saviez-vous que l’armée suisse a mis en place un dispositif gigantesque pour contrer cette attaque? Enfin, saviez-vous qu’il s’agissait d’un exercice grandeur nature? Lux (Suisse, 2022), documentaire réalisé par Mateo Ybarra et Raphaël Dubach, retrace cette immense simulation qui aura duré dix jours et pendant lesquels 1’500 militaires ont été déployés. En suivant l’opération au plus près, le film nous immerge dans cet univers fascinant, et bien souvent ridicule. Et c’est d’ailleurs cette dernière facette que le documentaire s’amuse à retranscrire ironiquement en se concentrant sur les gestes et paroles de soldats qui, régulièrement, se demandent ce qu’ils font là. En résulte un questionnement sur l’utilité d’un tel exercice. Et un film original et inattendu.


Nocturnes


Le VIFFF proposait également des projections nocturnes, l’occasion de découvrir des films décalés et souvent très attendus, comme Mad Heidi (Johannes Hartmann et Sandro Klopfstein, Suisse, 2022). Ayant vu le jour grâce à un projet de financement participatif et promettant d’être le premier film d’exploitation suisse, ce long métrage suscitait de nombreuses attentes… qui ont malheureusement été déçues. Les premières images partagées en amont avec le public, à l’esthétique très grindhouse, se caractérisaient en effet par un ton subversif et sans concession qui laissait présager que les stéréotypes (et réalités) helvétiques allaient en prendre pour leur grade. Une dictature du fromage s’attaquant aux personnes intolérantes au lactose, un paysage idyllique cachant une prison où les captifs doivent se livrer à des matchs de lutte suisse sanglants, le programme était alléchant. En fin de compte, les railleries restent très superficielles, la faute certainement à l’envie, certes louable, des réalisateurs Johannes Hartmann et Sandro Klopfstein de vouloir tout passer en revue, ce qui ne leur permet toutefois pas de creuser leurs idées de manière satisfaisante. Le résultat est donc un peu trop sage, malgré la folie annoncée dans le titre…


Mais les Nocturnes du VIFFF accueillaient également des films à la hauteur des attentes qu’ils suscitaient, comme Fumer fait tousser de Quentin Dupieux (France, 2022). Avec ce long métrage, le cinéaste décide de revenir aux sources de la narration en proposant un film (littéralement) à sketches où les protagonistes du récit-cadre, sortes de Power Rangers portant les noms des composants d’une cigarette, se racontent des histoires effrayantes autour d’un feu de camp. Ce qui pourrait être vu comme un film fourre-tout, une excuse permettant à un réalisateur prolifique d’exposer toutes ses prémices de concepts, se révèle en fin de compte être un procédé très efficace, truffé d’idées plus loufoques et brillantes les unes que les autres. Ne laissant aucun temps mort, la réalisation embarque son public dans un univers absurde et parfois dégoûtant, mais auquel on adhère sans réserve, servi par un casting de luxe et totalement investi. Un objet filmique (presque) non identifié dont on ne peut que louer l’inventivité, en espérant entendre un jour les histoires des personnages qui n’ont pas eu l’occasion de les narrer!


En définitive, de la Compétition internationale aux Nocturnes, en passant par le bar de la Grenette ou par la traditionnelle soirée karaoké organisée au Théâtre de l’Oriental, les cinéphiles se souviendront longtemps de cette 8e édition du VIFFF, riche en émotions, en éclats de rire et en surprises cinématographiques en tout genre.


Marvin Ancian, Amandine Gachnang, Noé Maggetti, Blaise Petitpierre